Portrait d’auteur : 3 questions à Aurore Chéry à l’occasion de la parution de son ouvrage « L’intrigant, nouvelles révélations sur Louis XVI »
Publié le 03 mars 2021
Louis XVI nous semble désormais si familier que chacun s’en fait une représentation stéréotypée. Le roman national, qu’il soit républicain ou royaliste, l’a figé en un être coupé de la réalité. Pour cet ouvrage, l’historienne Aurore Chéry a mené des recherches inédites s’appuyant sur les sources primaires, pour certaines encore inexploitées, et les travaux les plus récents des historiens. Elle offre ici un portrait entièrement renouvelé du roi de France, un souverain aux idées avant-gardistes et à la personnalité dérangeante, à la fois allumeur de révolutions et républicain bien décidé à transformer le monde. Aurore Chéry montre comment, pour se protéger d’une cour hostile et mener à bien la politique de ses rêves, il a revêtu divers masques. Loin de l’homme apathique souvent décrit, on découvre un roi déterminé, au caractère entier, un tacticien contraint de fonder sa politique sur la ruse, la dissimulation et la manipulation. Mais ce nouveau Machiavel est aussi un être passionné, prêt à tout risquer par amour pour Françoise Boze, l’espionne protestante à son service. Au-delà de ce portrait fascinant, l’historienne dresse le tableau complet d’une époque rendue plus vivante par la diversité des approches qui s’éclairent l’une l’autre, de la littérature à la philosophie en passant par la médecine. Proprement recontextualisé, le règne de Louis XVI nous révèle tout ce que notre modernité lui doit et combien il est susceptible de nourrir de riches réflexions pour l’avenir.
Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre ouvrage ?
L’Intrigant est une biographie de Louis XVI qui revisite entièrement le personnage, non pas par goût de la provocation mais parce qu’on s’était habitué à une image de ce roi qui ne rendait pas compte de la réalité du pouvoir qu’il exerçait et de la place qu’il occupait dans l’histoire. Au cours du XIXe siècle, les mémorialistes ont façonné une image de Louis XVI en bon père de famille, un personnage qui n’avait pas beaucoup de consistance sauf au moment de sa mort. On parle tout de même d’un individu qui a été roi de France, c’est-à-dire le royaume qui était censé être la plus grande puissance du monde à l’époque. Il y avait là quelque chose qui n’était pas cohérent. J’ai donc décidé de revenir aux sources primaires, de les confronter et de les contextualiser correctement pour tenter de restituer le portrait de l’homme d’Etat.
Ce qui m’est apparu peu à peu, c’est que Louis XVI avait subi l’alliance autrichienne, une alliance d’ailleurs très impopulaire en France, qu’il avait été marié à Marie-Antoinette contre son gré et qu’il ne l’avait jamais aimée. Au contraire, tout au long de son règne, il a essayé de lutter contre cette alliance et, en général, contre toutes les ingérences étrangères, notamment celle de l’Angleterre.
Pour cela, il s’est appuyé sur un réseau protestant auquel appartenait Françoise Boze, la femme du peintre Joseph Boze, dont il est tombé fou amoureux et qui est devenue sa maîtresse, sa confidente et sa principale partenaire en politique. Ensemble, ils ont oeuvré à préparer la Révolution qui, pour le roi, apparaissait comme le dernier recours pour permettre à la France de recouvrer sa souveraineté, une révolution qui a fini par se retourner contre Louis XVI.
Alors qu’on avait tendance à raconter le règne de Louis XVI à travers les actions de ses ministres, je m’efforce dans ce livre de restituer la politique royale, ce qui conduit aussi à retrouver la personnalité du roi et à entrer dans son intimité.
Que représente Versailles pour vous ?
Bien que cela puisse paraître surprenant aujourd’hui, Versailles est pour moi la capitale de la Révolution. C’est à Versailles qu’elle a pris consistance, qu’elle s’est réalisée à partir de la réunion des Etats généraux de 1789 et aussi là qu’elle a été pensée et en partie financée.
Louis XVI s’est efforcé de placer des familles fidèles à sa politique révolutionnaire, telles que les Noailles, aux charges clés de la cour. D’autre part, c’est une chose à laquelle on réfléchit trop peu, mais pour mener à bien sa politique personnelle secrète, le roi avait constamment besoin de dégager des fonds qui échappaient aux yeux indiscrets de son gouvernement. Or les chantiers somptueux de Versailles et la nécessité de cultiver l’art de paraître à la cour offraient autant d’occasions de factures exorbitantes dont le montant, dans ce contexte, ne semblerait pas déraisonnable, mais qui autorisaient aussi des surfacturations. Il suffisait de s’assurer de travailler avec des fournisseurs complices qui acceptaient de reverser la partie surfacturée au pot de la politique royale. Si c’était la concession à accepter pour être certain d’obtenir le marché, ça ne devait pas présenter trop de difficultés. C’était une sorte d’impôt sur la fortune avant la lettre.
Ca m’amuse beaucoup de penser que le faste versaillais, au sein duquel le roi se sentait prisonnier parce qu’il était en permanence exposé au regard de courtisans curieux, a contribué à financer la politique royale et donc la Révolution.
Quel est votre endroit coup de cœur au château ?
Mon endroit coup de coeur c’est le cabinet de la garde-robe de Louis XVI parce que c’est certainement l’espace qui traduit le mieux la personnalité et l’humour du roi.
Comme le précise Pierre de Nolhac, c’est la pièce la plus luxueuse qu’il ait fait aménager, et ce, juste avant la Révolution. On oublie souvent de rappeler que, initialement, il y fait effectuer des travaux pour y installer des cabinets à l’anglaise. A une période où il se sentait prisonnier de l’Angleterre, du fait de l’ingérence qu’elle exerçait alors en France, c’est assez ironique. Ce qui est plus étonnant encore, c’est que ces lieux à l’anglaise disparaissent derrière une porte et derrière un décor qui est à la fois une allégorie du bon gouvernement, une célébration de l’amour et une proclamation de l’égalité homme-femme puisque éléments féminins et masculins y sont représentés à parts égales.
En bref, c’est comme si Louis XVI annonçait son programme rêvé des mois à venir : une fois que, grâce à la Révolution, les Anglais auront été expédiés comme des excréments dans les lieux à l’anglaise, il pourra publiquement proclamer son amour pour Françoise et réaliser enfin avec elle leur projet politique. Faute de connaître l’existence de Françoise, le cabinet a été restauré, il y a quelques années, en intégrant un portrait de Marie-Antoinette dans la boiserie. En raison de ce que je viens d’expliquer, il est en réalité très peu probable qu’elle ait trouvé sa place dans ce décor.
Cette déclaration d’amour politique dans des toilettes apparaît plutôt déroutante au XXIè siècle mais elle rappelle que le XVIIIè siècle était toujours très attaché à Rabelais, qui a notamment inspiré des caricatures révolutionnaires.
A PROPOS DE L’AUTEUR
Aurore Chéry est docteure en histoire moderne, chercheure associée au Lahra (Laboratoire de recherche historique Rhône Alpes). Sa thèse Portait sur L’image de Louis XV et Louis XVI, entre tradition et création (2015) et ses travaux ont trait à l’écriture du roman national et les usages publics de l’Histoire. Elle est l’auteure en outre Des historiens de garde (avec William Blanc). Son ouvrage L’intrigant, nouvelles révélations sur Louis XVI est paru aux éditions Flammarion en septembre 2020.
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