Galerie des Glaces, du gentilhomme normand à la jolie jeune fille

Publié le 17 février 2021

Madame Florence Hélaine, membre Sociétaire, joue avec l’actualité en pensant au château de Versailles, dont les portes restent hélas fermées aux visiteurs.

C’est lorsqu’en fin d’automne les jours sont devenus très courts que je me plais à déambuler dans la Galerie des Glaces juste avant la fermeture du château, vers 17H, entre les derniers touristes et le rappel des gardiens qui ferment les pièces une à une. C’est le moment où la perspective se libère, où les reliefs apparaissent et où les ors resplendissent. Quelquefois, le jeudi je viens plus tôt, pour filer ensuite à la Chapelle écouter les pages et les chantres, pour passer du baroque… au baroque.

Mais voilà, nous sommes en 2020, la pandémie n’a pas cessé et les portes du château sont closes pour plusieurs mois. Point de déambulation dans la galerie, point d’audition à la Chapelle. Il nous reste juste le droit de profiter du grand parc où résonnent les cris des corbeaux noirs mêlés à ceux des perruches vertes. Elles semblent vouloir résister aux premiers froids avec la plus grande insolence. Confiné chez soi, on se laisse tenter par les écrans et ses vieux bouquins, après tout, c’est le moment d’en profiter. Je décide alors de retrouver la galerie autrement, et au bout de quelques jours de lecture, de confrontations entre les revues, les articles, les ouvrages spécialisés parfois contradictoires je commence à me passionner et à construire quelques points de repères.

auteur Vincent Desjardins
Image par Manfred Richter de Pixabay

Un symbole de la puissance, de la prospérité et de la suprématie française en tous domaines

Souvenons-nous… En 1677 Louis XIV laisse pressentir sa volonté d’établir sa demeure à Versailles, en 1678 la construction de la Grande Galerie est décidée, dès lors, Mansart est au travail pour supprimer la terrasse sur la façade côté jardins, réunir les pavillons latéraux et installer la galerie. L’inauguration a lieu en novembre 1684. La confrontation du calendrier d’exécution à la magnificence du résultat laisse sans voix.
Pour ce qui est de la peinture, Le Brun fixe une date, et la tient. Il établit son plan de bataille, ses plans, ses dessins avec une rapidité incroyable et dès l’adoption du projet, une armée d’élèves et de disciples se met au travail sous sa direction. Il corrige ensuite, de sa propre main.
Peintres, doreurs, stucateurs, spécialistes du trompe l’œil, tout un peuple d’artistes et d’artisans furent mis à l’œuvre dans cette galerie. Certains usaient de tout leur art, d’autres exploitaient des procédés tout à fait novateurs et des miroitiers normands parvinrent, contre toute attente, à rivaliser avec les vénitiens.
En effet, au début du siècle, seuls les glaciers de Murano savaient produire des glaces et des miroirs de qualité, et la République de Venise veillait jalousement sur le procédé, en menaçant de mort ceux qui trahiraient le secret… La France importait à un prix exorbitant. Colbert, alors résolu à développer une industrie propre à satisfaire la demande française en produits de luxe, et à en réduire les importations, s’interrogeait. En 1665, il décidait de fonder la Manufacture Royale des Glaces de Miroirs à Paris, au Faubourg Saint Antoine. Diverses actions des ambassadeurs de France furent alors conduites auprès de la République de Venise, il s’agissait d’obtenir que les verriers vénitiens s’exportent et enseignent leur métier aux artisans parisiens. Parallèlement une diplomatie plus secrète était à l’œuvre…mais les maîtres et ouvriers arrivant à Paris eurent beau être couverts d’honneurs, ces tentatives ne furent pas couronnées de succès. Les incidents, parfois très graves, se multiplièrent, et rapidement, les verriers repartirent vers la Sérénissime…

C’est alors que Nicolas du Noyer, le directeur de la manufacture, entendit parler d’une petite verrerie du Cotentin.
Richard Lucas de Néhou est établi à Tourlaville, au cœur de la forêt de Brix, près de la rivière du Trottebec et non loin de la côte. Ainsi se fournit-il aisément en bois et en eau et profite-t-il des algues qui lui servent à composer la soude nécessaire à la fabrication du verre. Le gentilhomme a bonne réputation, il fabrique des cristaux, des verres à vitre et à lunettes. Ses artisans sont fort habiles et peut-être en mesure de rivaliser avec les vénitiens. Très vite, le rapprochement a lieu. Dès 1666, la Manufacture Royale est transportée en Normandie et devient « La glacerie ». C’est là qu’entre 1682 et 1684 seront soufflés les 357 miroirs qui orneront la galerie et symboliseront le génie manufacturier français.
Il s’agissait pour le roi de faire de cette Grande Galerie un symbole de la puissance, de la prospérité et de la suprématie française en tous domaines. Ce fut une somme de véritables prouesses. Les 73 mètres de long, les mille mètres carrés de peinture, les miroirs reflétant les rayons du couchant, les ors, les cristaux, les bronzes, le mobilier d’argent, la magnificence des torchères et la délicatesse de leurs girandoles, tout concourt à faire de cet endroit aujourd’hui encore un chef d’œuvre surpassant tout ce qui pouvait être imaginé.

Inaugurée le 15 novembre 1684 elle fut naturellement le théâtre de réceptions qui se voulaient plus ou moins prestigieuses. Louis XIV en fit le lieu de sa grandeur, pas celui des rituels. Pendant son règne Il y eu peu de manifestations officielles. Seuls, le doge de Gênes, le shah de Perse et l’ambassadeur du roi de Siam y furent reçus, et ce n’était pas une marque de considération ! La galerie demeurait un lieu où l’on se pressait pour voir passer Sa Majesté, on y tenait des fêtes et des bals, mais elle ne supplanta jamais le haut lieu de réception qu’était la chambre du roi.
Les symboles du pouvoir vivant souvent au rythme de l’histoire, le château a connu les heures de la révolution, puis la désuétude. Vidé, dépouillé, il devint encombrant, au point même que sa destruction fut envisagée. Bien tristes années !
Mais le phénix renaît toujours et la galerie renoue avec son destin lorsque le 25 août 1855, Napoléon III y reçoit la reine Victoria. Le lieu est plus éblouissant que jamais et l’empereur y valse dans les bras de la reine…
Dès lors les événements historiques s’y succèdent. Le 18 janvier 1871, Bismarck y proclame l’Empire allemand le 28 juin 1919, Clémenceau, Lloyd George et Wilson y signent avec les délégués allemands le traité qui met fin à la première guerre mondiale, le « Traité de Versailles » ! Ce sont aussi les visites d’État, le tsar Nicolas II en 1896, le roi Georges VI en 1938, la jeune reine Élisabeth II en 1957, et en 1961, le roi Beaudoin Ier et le président des États unis John Fitzgerald Kennedy en compagnie de son épouse Jacky… Le célèbre couple présidentiel, marqué par les fastes de la réception dans la Galerie des Glaces mais aussi sincèrement tombé sous le charme de Versailles prendra, dès son retour aux États-Unis, le soin d’encourager le mécénat en faveur du château.
Depuis, la Galerie n’a jamais cessé d’être admirée par les hôtes officiels de la France renouant ainsi avec sa vocation d’apparat…

Louis XIV reçoit l’ambassadeur Mehemet Reza-Bey dans la galerie des Glaces, 19 février 1715, par Antoine Coypel. © RMN-GP (Château de Versailles) / Gérard Blot
Un bal donné par Napoléon III en l’honneur de la Reine Victoria dans la Galerie des Glaces , le 25 août 1855,
par v. chavet, Royal Collection Trust/© Her Majesty Queen Elizabeth II – source : https://marie-antoinette.forumactif.org

Le choc des cultures !

Le 1er décembre, on se tourne vers Noël, les rues s’illuminent dans la nuit, les enfants commencent à s’impatienter devant le calendrier de l’Avent, les familles font des projets, les solitudes de certains se font plus pesantes et l’on n’entend plus parler que des «Fêtes» au risque parfois d’en oublier le sens…
Ce soir-là, je fais une découverte étrange dans la presse. Un tableau de 29 jeunes femmes court vêtues de rouge, masquées de noir, qui portent écharpe et prennent la pose dans la Galerie des Glaces ! L’article titre « Les prétendantes au titre de Miss France sont à Versailles pour trois jours. » et raconte. Visite et shooting photo au château, séjour au Trianon Palace, test de culture générale, leçons de savoir vivre et apprentissage du fameux « catwalk » qui rendra la démarche de ces jeunes filles plus… féline.

Miss France : séance photo et visite privée du Château de Versailles par LCI – (https://actu.orange.fr)

Pour moi qui en étais restée à Élisabeth II et au roi Beaudoin c’est le choc des cultures ! Clémenceau, le Général de Gaulle, André Malraux, le G7 …et les petites miss de nos provinces ! Je les imagine s’égayant sous la voute de Le Brun pour une opération de marketing… leur aura-t-on seulement laissé le temps de lever les yeux ? Auront-elles eu le loisir d’admirer ? De profiter un peu ? Une idée farfelue me traverse l’esprit, et si chacune des 29 candidates avait choisi une figure ou une allégorie pour représenter sa région ? Qui aurait pris « L’ambition » ? Qui « La colère » ? Qui « La discorde » ? Mais non ça n’a pas de sens, l’idée est idiote. C’est sans doute l’influence de mes lectures du moment qui donne des allures de sacrilège à l’événement. Il me faut réfléchir un peu.
S’il est vrai que les lieux emblématiques finissent par se sacraliser, n’est-ce pas au risque de se figer dans leur histoire ? Je me demande s’il ne faut pas changer de lunettes, décaler tout ça, penser autrement. Après tout, Miss France, c’est un concours de beauté et d’élégance et l’élégance, c’est la grâce, la pureté dans le style. Le catwalk que les miss doivent apprendre, c’est une posture parfaite, un port de tête, une démarche naturelle, un rythme, une allure. Sommes-nous si loin des chassés, des assemblés, des sissones et des entrechats des bals qui ponctuaient la vie de cour ? La posture des danseurs de menuet n’a -t-elle pas à voir avec la démarche travaillée de nos miss ? Béatrice Massin, spécialiste de la danse baroque et chorégraphe du film « Le roi danse », évoque le menuet en ces termes : « Cette danse part du principe que si l’on sait marcher, on sait danser. » Du menuet au catwalk.
Et puis, au-delà des postures il y a les symboles, et peut-être bien que le rôle d’ambassadrice de l’élégance française qui sera assigné à l’élue de ces miss rejoint la volonté qu’avait le roi de faire rayonner la France par la magnificence du lieu. Bien sûr, la vie des miss n’est pas faite que de glamour, il y a les paillettes et les galas de charité, les remises de prix, les salons, les foires, les émissions de télévision où il faut faire bonne figure pour le business et les réseaux sociaux, mais c’est un autre sujet.
Jeff KOONS, qui a osé pendre son homard devant les yeux de Marie Leczinska et de Louis XV, avait lui aussi investi la Galerie des Glaces, et fait se réfléchir ses miroirs au mercure dans un curieux astre bleuté appelé Moon (Light blue).
Le château vit, et rencontre le temps présent.
Quelques jours après le shooting dans la Galerie des Glaces, la jeune provinciale Miss Normandie fut élue Miss France… comme en clin d’œil en écho à Richard de Néhou,
et cette année, la Grande Bretagne s’apprête à fêter les 70 ans de règne d’Élisabeth II. 

Florence Hélaine, février 2021
Bibliographie
Pierre de Nolhac « Histoire du Château de Versailles »,1899, Revue d’histoire moderne, www.persee.fr
Pierre Verlet « Château de Versailles », Fayard,1985.
Jean-Claude Le Guillou, « Versailles, Histoire du château des rois », Deux coqs d’or,1988.
Jean-Marie Pérouse de Montclos « Versailles » 1996.
Jacques Thuillier « La Galerie des Glaces » Découvertes Gallimard, 2007.
Valérie d’Anglejean « Versailles et la Galerie des Glaces à la loupe » Seuil jeunesse, 2007.
Sophie Human « De l’autre côté des miroirs » Le Figaro hors-série n°30.
Philippe Beaussant « Le roman de Versailles » Le Figaro hors-série n°30.

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