Le cinéma primitif et le Château de Versailles

Publié le 13 juin 2020

Par Christophe Fouin, Chef de Travaux d’art du Ministère de la Culture, Photographe du service de la Conservation du Château de Versailles
(Première partie de la conférence « Le cinéma et le château de Versailles » donnée pour les Amis de Versailles le 25 février 2020)

La gravure de Sébastien Leclerc de 1698 sur l’académie des sciences et des beaux-arts, montre au premier plan une lanterne magique avec un passe vues contenant plusieurs verres circulaires

Avec plus de 200 films tournés au château de Versailles, le cinéma a toujours depuis sa création, été attiré par ce monument qui lui offre ses somptueux décors et ses personnages célèbres, prétextes à de rebondissants scénarios.

Dans un premier temps, nous avons choisi de traiter la période de pré-cinéma, de la grotte Chauvet à la révolution de 1789, de manière à bien comprendre la lente évolution du septième art et de ses attaches avec le château.

Les premières salles de cinéma et la recherche de l’obscurité 

La découverte du 18 décembre 1994 de la grotte Chauvet en Ardèche fut l’une des découvertes qui a bouleversé ce que nous savions sur l’homo sapiens. La datation de 32000 ans des peintures de ce lieu témoigne de la volonté précoce de rechercher l’obscurité pour  »raconter des histoires ». Toutes les théories sur la chasse, le totémisme, le chamanisme, convergent vers une hypothèse élaborée par cette théorie de Marc Azéma¹ ; à savoir que dès ses origines l’homme a eu besoin de « salles de cinéma » pour vivre et que la grotte est son premier terrain de projection mentale. La paroi des lions est particulièrement frappante dans la recherche d’une histoire et de mouvements avec la répétition des profils. Avec toujours le souci du son qui apparaît très important, en effet dans certaines grottes e meilleur écho mène aux peintures.

Détail de la paroi des Lions dans la grotte Chauvet en Ardèche

La caverne de Platon, mythe fondateur de la philosophie entre -424 et -347 av JC est une allégorie où des prisonniers enchaînés au fond d’une caverne visionnent en continu des ombres éclairées par un feu et refusent d’envisager une autre réalité. Ils veulent exclusivement se nourrir de ces fictions et refuseront de sortir de la cavité, même après les révélations de leur compagnon libéré. Ces prisonniers sont dans une salle de cinéma et ne conçoivent pas leurs existences ailleurs.

Allégorie de la caverne de Platon

Tous les princes d’Europe à la Renaissance se firent construire des grottes dans leurs parcs de châteaux . Louis XIV inaugura à Versailles la grotte de Thétis en 1666 et la fit détruire en 1684 pour permettre le développement de l’aile Nord. Actuellement, il reste encore trois grottes toutes construites autour des années 1780. Celle de Madame Elisabeth, la plus mutilée au fond de son parc, celle de Marie Antoinette au Petit Trianon avec sa double entrée. Mais c’est surtout celle du Comte de Provence dans le parc Balbi qui est sans aucun doute la plus belle et la plus complexe des trois. Ses grandes ouvertures sur la parc et sa pièce d’eau donnent un film permanent sur la nature à celui qui se trouve dans la cavité.

Grotte de Madame Elisabeth construite par Jean-Jacques Huvé, offerte par Louis XVI à sa soeur en 1783
Grotte construite par Chalgrin dans le parc de Balbi en 1785 pour Anne de Caumont la Force, maîtresse de Louis XVIII
Grotte avec une double entrée de Marie-Antoinette dans le parc du Petit Trianon, imaginée par Richard Mique et Hubert Robert

De la camera obscura à la lanterne magique 

Un chinois décrit le premier la camera obscura au IVe siècle avant JC. Mais c’est Aristote en Europe -384 -322 av JC dans son livre XV des problèmes qui parle d’une éclipse qui se projette à l’envers au travers d’un trou sur un mur écran.

Planche de la Camera Obscura dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert

Léonard de Vinci prendra connaissance de ses écrits en 1514 et développera les principes de la camera obscura ou chambre noire qui sera utilisée par de nombreux artistes, comme Vermeer par exemple, pendant plus de deux siècles.

Descriptif d’une grande camera obscura avec l’artiste faisant son relevé à l’intérieur

En 1643, le jésuite allemand Kircher fut le premier à écrire les principes de la lanterne magique dans son ouvrage Ars Magna Lucis et Umbrae. Christiaan Huygens 1629-1695, savant danois prit connaissance de cet ouvrage. Et c’est à l’hôtel de Liancourt que fut inaugurée par un mystérieux inconnu, le 9 mai 1656, la première utilisation d’une lanterne magique à Paris. Il s’agissait d’une boite éclairée à l’intérieur par une flamme au bout d’une mèche qui grâce à un jeu de lentilles projetait l’image peinte sur plaque de verre contre un mur. L’hôtel situé au 14-18, rue de Seine à Paris, détruit en 1825 recevait toute la haute société, aristocrates, savants, jansénistes et esprits curieux. Christiaan Huygens fréquentait cet hôtel et c’est lui qui joua un rôle décisif dans la diffusion de la lanterne magique en Europe, en fabriquant des modèles et concevant des plaques animées. Le danois Thomas Walgenstein fut le troisième homme à marquer les débuts des lanternes en projetant à Frédéric III l’image de la mort. Ce dernier très impressionné, mourut quelques jours plus tard, on parla de la lanterne de peur.

Israël Silvestre (1621-1691), « Vue de l’Hôtel de Liancourt ». Eau-forte
Israël Silvestre (1621-1691), « Vue de l’Hôtel de Liancourt du côté du jardin à Paris ». Eau-forte

Le succès est foudroyant et Colbert écrit à Huygens pour qu’il fasse partie de l’académie des sciences en 1666 pour l’ensemble de ses travaux et notamment ceux liés à l’astronomie.

La lanterne magique figure en première place de la gravure de Sébastien Le Clerc en 1698, elle témoignede  l’importance de cet instrument pour les sciences et les beaux arts à cette époque,

L’Académie des sciences et des Beaux-arts en 1698, Sébastien Le Clerc

Jeux d’adultes au XVIIIe siècle sous la Régence

Le Régent organise avec l’abbé Dubois ses fameux petits soupers au Palais Royal de 1719 à 1723 et donne un exemple de libertinage en France après la rigueur des dernières années du règne de Louis XIV .

Les mémoires du Maréchal de Richelieu relate précisement les déroulés de ces festivités où le marquis de La Fare utilisait sa lanterne magique pour projeter des images pornographiques et chauffer des esprits déjà aux prises avec les vapeurs d’alcool. Il ne reste aucune plaque de cette époque, néanmoins nous connaissons les gravures de l’Arétin qui servaient de modèle pour ces projections destinées à un public averti.

Attention, certains visuels dans le lien ci-dessous peuvent heurter la sensibilité
du jeune public

Au château de Versailles, l’abbé Nollet qui dispose d’un appartement, va présenter en 1744  ses expériences de physique expérimentale et s’occuper de l’éducation du Dauphin et de la Dauphine. La cour est stupéfaite par ses projections d’insectes avec une lanterne magique. Voltaire, son admirateur et client, lui achète un cabinet d’instruments scientifiques en 1738 dont une lanterne magique qui lui servira à projeter des images satiriques pour ses invités ravis.

Projection de lanterne magique par l’abbé Nollet au château de Versailles en 1744

En parallèle de sa présence dans les cabinets de curiosités et dans les salons des aristocrates, des colporteurs vont parcourir les campagnes d’Europe avec des lanternes magiques, des boites optiques et diffuser des images de spectacles populaires jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Colporteurs de lanterne magique au XVIIIe siècle
A gauche, séance de boite optique pour quelques personnes très proches de l’opérateur vers 1730. Les autres gravures représentent 3 séances de projections de lanternes magiques dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour des groupes plus importants. Toutes les couches sociales sont concernées.

Un certain mépris aristocratique à l’égard de ces obscurs Savoyards et Auvergnats côtoie une certaine fascination pour ce type de spectacle. Une lente évolution des sujets montre qu’à partir des années 1770, ce sont bien des idées révolutionnaires que diffusent ces animateurs de villages.

Les plaques de verre des lanternes magiques sont très fragiles et peu d’entres elles nous sont parvenues, néanmoins subsite un ensemble, conservé à la Cinémathèque Française, de fabrication unique et soignée. Il appartenait peut-être à une famille aristocratique qui avait commandé juste avant la révolution les portraits de la famille royale et d’autres figures,

Exemples de plaques de verre de la cinémathèque Française serties de bois du XVIIIe ; Louis XVI, une jeune Dame, Mme Elisabeth et Diane, collection de la Cinémathèque française, dépôt du Centre national du cinéma et de l’image animée
© Stéphane Dabrowski


Boite optique vers 1700, en bois peint. Cette boite optique très primitive ne possède pas encre d’optique. Un rouleau gravé et rehaussé passe grâce aux deux manivelles (origine allemande)
© Collection François Binetruy

Ce procédé sera repris plus tard et amélioré par Carmontelle (1717-1806) en France qui peindra des scènes en continu sur des transparents.

Boite optique en bois vers 1760, © Collection Binetruy
Lanterne magique en métal vers 1750 avec présence de chaînes pour la suspendre
© Collection Binetruy
Lanterne carrée en bois vers 1780
© Collection Binetruy

Au lendemain de la révolution, dans l’inventaire du 10 octobre 1789 concernant les affaires du Dauphin, nous trouvons une lanterne magique, preuve qu’à Versailles cet objet est passé d’instrument scientifique à accessoire ludique associant enseignement, formation politique, historique, philosophique et jeu pour enfants.

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