Deux tableaux de la prise de la Grenade… Aux Amis de Versailles

Publié le 10 février 2023

Les habitués de l’Appartement des Amis sauront les reconnaître ! Deux tableaux sortis des réserves du Château il y a quelques années et qui ornent aujourd’hui les murs blancs de la salle de conférence située au 1er étage des bureaux de la Société des Amis de Versailles. Peintures de marine aux sujets obscurs pour les moins connaisseurs, fascinantes pour les passionnés de l’histoire de la marine.

Prise de l’île de la Grenade, 4 juillet 1779
© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin
Combat naval de l’île de la Grenade, 6 juillet 1779
© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Les deux tableaux ne portent aucune indication mais sont manifestement de la même main, celle du peintre Jean-François Hue. Le premier représente un combat naval sous voile, le deuxième une île avec à son sommet une forteresse qui vient d’être conquise. Le type des navires et les uniformes permettent de dater les évènements représentés comme des combats qui se sont déroulés aux Antilles pendant la guerre d’Indépendance.

Nous avons interrogé Patrick Villiers, éminent spécialiste de la marine de Louis XVI qui nous livre ses réflexions sur ces deux tableaux qui méritent d’être connus.

Quel engouement pour la peinture marine ?

Aux XVIIe et au XVIIIe siècles, la peinture de marine en France n’a pas eu l’engouement qu’elle a connu en Angleterre ou aux Provinces-Unies. Dès les années 1600, les particuliers hollandais comme les autorités commandent des peintures de batailles navales, évidemment celles gagnées, mais achètent également de très nombreux tableaux représentant des navires ou des escadres de guerre comme de commerce, sources précieuses pour l’historien du navire. En France, Puget, architecte des arsenaux du roi, auteur de très belles grisailles de vaisseaux et de galères mais également sculpteur renommé n’est présent à Versailles que par ses sculptures. Il a cependant peint au moins un tableau de bataille navale, celle de Messine le 11 février 1675, présent de nos jours au musée de la marine de Madrid. Si Louis XIV a commandé pour Versailles de nombreux tableaux illustrant ses campagnes victorieuses, il a cependant commandé au peintre hollandais Jan Karel Van Beecq plusieurs tableaux de marine. L’un figure le navire amiral le Saint-Philippe avec à son bord l’amiral d’Estrées faisant sa jonction avec la flotte du duc d’York avant la bataille navale contre Ruyter en mai 1672, un autre le Bombardement de Chio en 1684, tableau qui fut destiné aux appartements de Marly. Au même moment, les Van de Velde père et fils dominent en Europe la peinture de marine, recevant des commandes de Hollande comme d’Angleterre.

Il faut attendre Louis XV avec les commandes de 24 ports de France à Joseph Vernet (1714-1789) le 27 novembre 1753 pour trouver une politique royale en faveur de la peinture de marine. Vernet n’en peindra que 15 de 1753 à 1763, en commençant par le tableau du port de Marseille.



Qui est Jean-François Hue ?

Portrait du peintre Jean-François Hue
© Wikipédia

Né en 1751, Jean-Fançois Hue se spécialise dans les paysages et la peinture marine. Ses principales sources d’inspirations pour ses œuvres sont ses grands voyages. Son talent lui permettra de devenir peintre officiel de la Marine, suivant ainsi les traces de son maître Joseph Vernet. En 1791, lui est confié la tâche de terminer la série représentant les ports de France, commandée à Vernet à partir de 1753.

Pourquoi Louis XVI commande-t-il le tableau de la bataille navale de la Grenade en 1788 ?

Il y a plusieurs hypothèses à la commande de ces tableaux par Louis XVI. Quelque temps avant l’apparition de ceux-ci, le roi avait fait un déplacement remarqué à Cherbourg afin d’assister à la pause d’un cône, dans l’objectif d’une création d’une rade à Cherbourg pour le futur port militaire. Pour cette occasion, Pierre Ozanne, célèbre dessinateur, graveur et ingénieur en maritime, réalise un ensemble de gravure qu’il commercialise avec succès. L’officier de marine Lapérouse prépare son tour du monde mais surtout la fameuse bataille de la Grenade. Cette bataille est une victoire indiscutable avec la défaite reconnue de la flotte anglaise qui s’est enfuie à la prise de l’île et de sa forteresse. On observe durant cette période un fort attrait de la société pour le monde maritime ce qui va donc amener le roi Louis XVI à commander ces fameux tableaux. La commande de ces œuvres montre également le renouvellement de la confiance du Roi Louis XVI dans la marine.

Pourquoi la commande a-t-elle été passée à Jean-François Hue ?

En 1787, Jean François Hue commençait être connu à Versailles. Il connaissait les frères Ozanne comme le montre le tableau de la bataille terrestre de la Grenade.  Il est probable que l’un des deux frères l’ait recommandé à la Cour.  Jean-François Hue est confronté aux événements révolutionnaires, qu’il soutient avec Pierre Ozanne. Il commence par peindre les tableaux de Lorient qui sont assez conventionnels puis se rend à Brest. Il livre ces quatre tableaux au Louvre le 15 frimaire an IV. Ils sont présentés au salon de 1795. Le plus remarquable est : La vue de l’intérieur du port de Brest qui représente l’arsenal depuis la rive droite de la Penfeld. Il a été réalisé de 1793 à 1795 et illustre l’armement de trois vaisseaux de 110 canons : La Bretagne, le Républicain et l’Invincible dans la forme de radoub. Outre les grands pavillons tricolores, Jean François Hue y fait figurer au premier plan l’ingénieur en chef Sané montrant un plan de vaisseau au représentant en mission ; Jean Bon Saint-André, aisément reconnaissable à sa ceinture tricolore. Jean-François Hue s’y révèle l‘égal de Joseph Vernet et des meilleurs peintres de marine. Ce tableau est au musée de la Marine de Paris. Les détails tant des vaisseaux que des hommes et des bâtiments sont une mine pour l’historien.

En quoi ces deux tableaux sont-ils une mine d’or pour les historiens ?

Jean-François Hue a fréquenté Vernet et les Ozanne et son talent est incontestable.
L’analyse des deux tableaux montre un soucis du détail exact sur le plan historique. Revenons sur celui qui décrit le combat naval. Il correspond à une phase très précise du combat. La flotte française est à gauche en ligne de file et continue sa manœuvre tandis que la flotte anglaise en désordre vire de bord. Le tableau est centré sur un vaisseau anglais démâté de son grand mât. Hue représente la fin du combat. La flotte française victorieuse a repoussé la flotte anglaise et revient ver la Grenade pour protéger les troupes débarquées le 4 juillet. Le peintre Jean-François Hue nous montre également une flotte anglaise, à l’arrière-plan le combat continue, au premier plan, bien qu’ayant perdu son grand mât, le vaisseau anglais navigue sous gréement de fortune. C’est manifestement la thèse de l’amiral d’Estaing qui est représentée. L’amiral réside à Versailles dont il sera nommé commandant de la garde nationale.

Ce tableau (voir ci-dessous), est à l’évidence copié sur une gravure de Pierre Ozanne qui était présent au combat et proche de l’amiral d’Estaing.

Combat naval de l’île de la Grenade, 6 juillet 1779
© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin
« Prise de la Grenade 1779 par d’Estaing », Gravure par Pierre Ozanne

En savoir plus

La Marine de Louis XVI, paru aux éditions Ancre en 2021

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