Portrait d’auteur : questions à Patrick Villiers autour de son ouvrage : « Traite des noirs et navires négriers du XVIIIème siècle »

Publié le 17 janvier 2023

Quel a été le cheminement qui vous a amené à travailler sur la thématique de la traite des noirs et des navires négriers ?

Patrick Villiers : « 
Lors de la rédaction de ma thèse de 3e cycle « Le commerce colonial atlantique et la guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique 1778-1783 » médaille académie de Marine 1976, je m’étais rendu compte qu’il n’y avait pas de traite des noirs en temps de guerre dans les ports français comme dans les ports anglais. Comme ma démarche depuis 50 ans est : «  la marine de guerre à quoi ça sert ? » ? , je me suis interrogé sur l’absence des navires négriers dans les convois et j’ai compris que la traite des noirs était à la fois indispensable au système colonial mais également un monde  avec ses propres règles. Je sais que c’est choquant à entendre mais il était très difficile de réussir un armement négrier.

A cette époque, le sujet était très peu étudié mais les travaux de Serge Daget et de Jean Meyer commençaient à être connus. Cependant presque personne ne s’occupait du navire en tant que tel. J’avais appris la voile aux Glénans et j’ai essayé d’appliquer mes quelques connaissances maritimes à ce champ de l’histoire : quelles étaient les routes suivies, quels étaient les tonnages, la vitesse, les équipages ?  mais en parallèle avec le navire colonial et le navire de guerre  « 

Combien de temps avez-vous mis à réaliser cet ouvrage?

Cet ouvrage est la réécriture d’un premier livre paru en 1983. J’avais mis sept ans pour écrire ce premier ouvrage. La réédition m’a pris trois ans, en grande partie pour retrouver et publié en couleur des documents dispersés dans les archives et pour réactualiser les données.

Avez-vous collaboré avec d’autres spécialistes dans vos recherches?

L’histoire ne peut s’écrire seul. Les historiens sont une communauté où s’affrontent les thèses. Par exemple la cargaison des négriers pour acheter les captifs fait l’objet de débat : verroteries, textiles alcools, armes etc.. En étudiant la production d’armes à Tulle et à Saint-Etienne, j’ai montré l’importance croissante des ventes de fusils français de plus en plus perfectionnés aux tribus côtières qui se chargeaient ensuite de capturer les futurs captifs à l’intérieur de l’Afrique. Les historiens américains minimisent ce rôle au profit des textiles. Les colloques permettent de débattre sur ces sujets.

Avez-vous suivi un axe particulier pour raconter la traite négrière à bord des navires?

Commençons par rappeler que la croissance des ports français de Louis XIII à Louis XIV se fait dans un contexte de violence, d’abord celles des guerres de religion, puis celles de la fronde puis celles des guerres de Louis XIV. Pensez aux dragonnades de Louis XIV contre les protestants. Les droits de l’homme ne comptaient pas pour grand-chose. Jusqu’en 1789, la France est une société de race où la noblesse est tout et le tiers état pas grand-chose mais les blancs les plus pauvres se croient supérieurs aux noirs.

Le commerce colonial est le moteur de la croissance, d’abord à Saint-Malo et au Havre puis à Nantes et Bordeaux. Mais pourquoi Nantes devient-il le premier port négrier français, pourquoi Bordeaux après 1763 se lance-t-il dans la traite, pourquoi aller au Mozambique après 1783 chercher des captifs, telles sont mes interrogations dans ce livre et mes propositions de réponses

Comment décririez-vous ces navires négriers (vitesse, entretien, choix du navires…)?

Au XVIIIe siècle, on assiste à un bouleversement des navires de commerce.

De Louis XIV à Louis XVI, la flotte de commerce française passe de 200 000 tonneaux à 750 000 tonneaux et devient la deuxième du monde mais à nombre de marins égal. Cela est permis par un formidable progrès technique le plus souvent oublié à commencer par une hausse spectaculaire du tonnage des navires coloniaux. On passe de navires de 150 à 250 tonneaux à des navires de 600 tonneaux et plus. On a même une frégate négrière de La Rochelle comme l’Iris qui dépasse 800 tonneaux, la taille de l’Hermione.

Les mâtures se rationalisent, les voiles se perfectionnent et on adopte même le doublage en cuivre après 1783 bien que son prix atteigne 10% du prix de la coque du navire. Il en résulte une réduction de la durée de la traversée de l’Atlantique et donc de la mortalité.

Vous traitez le sujet des maladies à bord des navires, comment pouvez-vous expliquer leur réduction au sein des groupes esclaves dont le mode de vie était très précaire?

A l’époque moderne, la maladie est perpétuellement présente à bord des navires. La plupart des navires n’ont pas de médecins, à bord des navires de guerre, ce sont des chirurgiens surtout formés à amputer les membres et recoudre les blessures. A bord des négriers nantais, les médecins sont des jeunes gens venus gagner de quoi financer leurs futures études. A bord de la Licorne de Bordeaux, le capitaine Brugevin a manifestement une grande expérience médicale et du bon sens, il refuse de saigner ou de faire vomir les malades et a compris qu’une bonne nourriture et une eau saine sont essentielles pour guérir les captifs mais surtout avec Duhamel du Monceau on se doute que l’hygiène à bord est essentielle.

Les capitaines négriers pressentent le rôle de la vaccination et vaccinent contre la variole dès les années 1730. Ils refusent d’acheter et d’embarquer des captifs qui leur semblent malades. Ils débarquent aux escales les malades et achètent des vivres frais. Toutes ces mesures amènent une réduction spectaculaire de la mortalité qui passe de 15 à 5% au cours du XVIIIe siècle, moins que celles des équipages

Le XVIIIème siècle a vu l’émergence du marronnage dans les plantations, y avait-il des rébellions similaires en mer ?

Tout capitaine négrier sait que lors de l’appareillage pour l’Amérique, les captifs vont chercher à se révolter. Plusieurs jours avant ce départ les captifs sont enchainés jusqu’à ce que la côte africaine ait disparu. Même ensuite, il peut y avoir des révoltes. Mais au bout de plusieurs jours loin des côtes, les captifs se rendent compte qu’ils ne connaissent rien à la navigation. Les révoltes réussies ont toujours eu lieu près des côtes africaines, on en compte quelques dizaines pour le siècle. Mais dans certains cas, les captifs ont été revendus par les tribus côtières à de nouveaux négriers.

Quel a été le rôle de Versailles dans le commerce négrier au XVII et XVIIIème siècle?

C’est Louis XIII qui autorise officiellement la traite et l’esclavage dans les colonies avec l’obligation d’apprendre la religion chrétienne, le mariage et le baptême. Louis XIV envoie ses escadres s’emparer des comptoirs hollandais à la côte d’Afrique, eux-mêmes pris aux Portugais.  Au traité de Paris de 1763, Gorée et Juda passent sous le contrôle direct de la monarchie. En 1784, Louis XVI envoie la frégate de 18 la Vénus reprendre aux Portugais par la force le comptoir de Cabinde dont ils avaient chassé les négriers français etc. Sur le nombre d’esclaves en France et la réalité de l’esclavage sous l’ancien régime, je vous renvoie aux travaux du professeur Erick Noël.

Pouvez-vous dores et déjà nous dire quelques mots sur votre prochain ouvrage qui concernera les navires de la Compagnie des Indes aux éditions Ancre?

Depuis près de 50 ans, je propose une relecture de l’histoire maritime et coloniale à partir du navire, après avoir étudie les navires de guerre, les corsaires et les navires négriers, il me restait à étudier les navires de la compagnie des Indes et en particuliers ceux naviguant à la Chine. La redécouverte un modèle de vaisseau de la compagnie des Indes au musée de Dieppe me permet une nouvelle approche du navire colonial.

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