Une pendule de bronze et d’ivoire

Publié le 05 mars 2022

Grâce au mécénat d’Iselin Art Advisory Ldt et de Monsieur William Iselin, membre Bienfaiteur des Amis de Versailles, la Société des Amis de Versailles s’est engagée en 2021 à financer la restauration d’une pendule en ivoire tourné et bronzes dorés, mouvement de Jean-Antoine Lépine.

La restauration de cette pendule d’une très grande rareté conservée depuis de nombreuses années en réserve, a été programmée par Hélène Delalex, conservateur en charge de la collection, dans le cadre de sa future présentation dans l’exposition Louis XV qui ouvrira au château de Versailles fin 2022, puis de son installation dans la salle à manger des cabinets intérieurs de la Reine au deuxième étage du corps central du Château.

Pendule Louis XV vue de face © Sébastien Evain
Pendule Louis XV vue de profil © Sébastien Evain

Le projet de restauration

© Sébastien Evain

Monsieur Sébastien Evain, ébéniste en charge de la restauration de la pendule, nous a détaillé les coulisses de cette délicate opération.

La restauration de cet objet consistait principalement en un nettoyage à la vapeur et l’emploi de gel, quelques réparations et consolidations légères, afin que la lecture de la restauration ne soit pas trop forte.

Toutes les pièces étant simplement vissées entre elles, il n’a pas été difficile de démonter la pendule. A la fin de la restauration, il suffira de remonter à nouveau les pièces à partir des deux colonnes centrales !

L’ivoire, une matière précieuse et complexe

L’ivoire est un matériau très complexe, peu stable et qui supporte très mal les contradictions et les variations climatiques. L’ivoire de cette pendule a jauni au fil du temps, plus particulièrement sur les zones en contact avec d’autres matériaux, et non pas les zones en contact avec la lumière, contrairement à ce que l’on pourrait croire ! En effet, l’ivoire jaunit lorsque qu’il est en contact avec d’autres matériaux et c’est le cas ici avec les éléments en bronze doré fixés à la colle. Le nettoyage à la vapeur a permis d’enlever la colle chaude présente (déjà changée plusieurs fois). Une colle moderne, et réversible, sera appliquée pour une meilleure fixation, après validation des tests effectués.

LE SAVIEZ-VOUS ?

La fabrication des pièces en ivoire de la pendule aurait nécessité l’utilisation de deux défenses d’éléphant.

Les bronzes dorés, entre brunis et mats

© Sébastien Evain

Le nettoyage à la vapeur a également fait ressortir le contraste entre les mats et les brunis des pièces en bronze doré.

Les dorures, d’origine, ont été réalisées grâce à la technique de la dorure au mercure également appelée dorure « à l’amalgame ». Ce procédé consiste à appliquer des petites boules composées d’or moulu dissout dans du mercure sur les bronzes, puis en chauffant l’objet, le mercure s’évapore.

Cette technique de dorure permet de recharger les parties manquantes ou usées et peut donc être utilisée plusieurs fois sur un même espace. Cette méthode est identifiable, au revers des bronzes, grâce à la réaction du mercure à la limite des zones dorées, qui forme des auréoles rosées appelées des « rouquins ».

Une pendule fabriquée par le Roi ?

L’art de tourner l’ivoire était une activité enseignée aux futurs souverains et aux enfants royaux dès le XVIIème siècle, l’ivoire de cette pendule aurait donc été tourné par le roi Louis XV pour sa fille Madame Adélaïde.

Cependant, on ignore encore quelle est la contribution de Louis XV pour la réalisation de cette œuvre par rapport à celle de son maître de tour, Jeanne-Madeleine Maubois, qui l’accompagnait souvent.

© Sébastien Evain
Pendule d’époque Louis XVI inspirée de la pendule de Louis XV © Sébastien Evain

Une autre pendule d’époque Louis XVI, très inspirée de celle d’époque Louis XV, est également en cours d’étude dans l’atelier et constitue une pièce comparative pour les analyses « tracéologiques », c’est-à-dire l’examen des traces d’outils laissées sur l’objet, menées par Sébastien Evain.

L’analyse a déterminé que l’ivoire de la pendule Louis XVI possède des finitions plus régulières que celle ayant appartenu à Madame Adélaïde, notamment pour le polissage.

Selon Sébastien Evain, le temps consacré à la réalisation de la pendule Louis XVI est au moins un quart supérieur à celle Louis XV. Cependant, cette dernière présente des éléments techniques beaucoup plus complexes à réaliser, comme la présence de colonnes ajourées ou le dessin des résilles plus abouti et comportant plus de détails, et donc de difficultés.

Ces indices corroborent l’idée d’une réalisation menée par le roi Louis XV pour la première pendule.

Détails de la pendule Louis XV © Sébastien Evain

LE SAVIEZ-VOUS ?

Une pendule très proche est conservée au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg en Russie et avait été inventoriée parmi les pendules de Marie-Antoinette avec cette mention « ouvrage de Louis 15 ». Elle aurait également été tournée par le roi Louis XV.

Sébastien Evain nous fait l’amitié de répondre à nos questions !

Quelle est votre formation et votre parcours ?

Je suis ébéniste de formation et passionné des antiquités (mobilier et objets d’art). Enfant, je voulais être décorateur d’intérieur. A l’occasion du fameux « stage de 3ème« , je suis allé chez un antiquaire-décorateur à la Baule qui avait en arrière boutique, un atelier de restauration de meubles anciens. Le coup de foudre. J’ai toujours préféré dès lors passer mon temps à démonter/remonter les œuvres, les connaître de l’intérieur, plutôt que de les vendre… A cette époque (1992), il n’existait pas d’école sérieuse de restauration de meubles. J’ai alors entrepris une formation d’ébéniste afin d’avoir les bases nécessaires pour ensuite travailler sur le mobilier ancien.

Comment vous est venue l’envie de faire ce métier ?

Une passion transmise de mon grand-père maternel.

Combien de restaurateurs travaillent sur ce projet ?

Nous sommes trois à intervenir sur l’œuvre : l’horloger du Château va restaurer le mécanisme, un restaurateur mobilier habilité au sein de CREOD (ma société) va restaurer la structure en ivoire et les bronzes dorés, et moi-même qui coordonne les interventions, après avoir mis en place le protocole de restauration (différents tests de nettoyage et de recollage ivoire/bronze). J’ai également mené l’étude qui accompagne sa restauration.

La pendule avait-elle fait l’objet d’une restauration antérieure ?

Oui comme c’est très majoritairement le cas avec les objets de plus de deux siècles. Des restaurations de consolidation et de recollage de l’ivoire notamment. 

Est-ce habituel pour vous de travailler sur ce type d’objet, une pendule et ce type de matériau, l’ivoire ?

Nous intervenons très régulièrement sur les pendules (partie structurelle, pas le mécanisme), qui peuvent être de bronze, de marqueterie Boulle ou comme ici, et c’est rare, l’ivoire.
Depuis 5-6 ans nous intervenons également sur les objets XVIIe et XVIIIe réalisés à Augsbourg, composés souvent d’ivoire.

Quel est l’enjeu majeur de cette restauration ?

Retrouver une structure saine et équilibrée. Par là, j’entends : dissocier les éléments d’ivoire et de bronze mal recollés et mal repositionnés, nettoyer l’ensemble et recoller le tout sans altérer les surfaces saines.

Quelle étape de la restauration avez-vous préféré ?

Le démontage est toujours l’occasion de se glisser dans les pas de ses prédécesseurs et découvrir les marques et autres traces laissées lors de la fabrication de l’œuvre, invisibles une fois remontées.

Avez-vous eu des surprises lors de ce travail ?

Oui, une belle. Il manquait visiblement une rosace en bronze doré et il était donc prévu une reconstitution à l’imprimante 3D… mais nous l’avons retrouvé coincée dans la base en ivoire !

Le devis donne une estimation de 110 heures de travail. La restauration vous a-t-elle finalement pris plus ou moins de temps que prévu ?

Le travail n’est pas encore fini, mais devrait se chiffrer à l’estimation prévue.

Durant votre carrière, un projet vous a-t-il particulièrement marqué ? Pour quelle raison ?

La restauration du bureau plat de Joseph Baumhauer de la collection Rossignol (vendu chez Artcurial en 2007) ! Mon premier très grand meuble, vendu près de 7 millions d’euros à l’époque. Il fallait démonter les vingt-quatre plaques de porcelaine coincées dans la structure… un grand souvenir.


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