Portrait d’auteur : 3 questions à Emmanuel de Waresquiel à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Sept jours : 17-23 juin 1789. La France entre en révolution »

Publié le 26 décembre 2020

©Emmanuel de Waresquiel/ G.Garitan

Emmanuel de Waresquiel est un historien français. En 2017, il avait notamment donné une conférence aux Amis de Versailles sur son ouvrage intitulé : « Juger la reine  » qui avait rencontré un vif succès. Son dernier ouvrage « Sept jours : 17-23 juin 1789. La France entre en révolution », vient de paraître aux éditions Tallandier.

Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre nouvel  ouvrage « Sept jours : 17-23 juin 1789. La France entre en révolution »? (Tallandier, 2020)

Mon idée de départ était d’aborder la révolution à travers deux lieux et deux évènements symboliques. Le premier de ces évènements qui en montre la face la plus tragique est le procès de Marie-Antoinette les 14-16 octobre 1793, dans la salle du tribunal révolutionnaire de Paris, auquel j’ai consacré un premier livre en 2016 : Juger la reine. J’ai voulu ensuite traiter des commencements de la révolution à travers le serment prêté par les députés du Tiers état au Jeu de paume de Versailles, le 20 juin 1789. Mais je me suis très vite aperçu qu’aborder cette seule journée ne suffisait pas à rendre compte de la genèse comme de l’exceptionnalité de notre révolution. Au fur et à mesure de mes recherches, il m’est apparu que le serment du 20 juin par lequel les députés jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution au royaume s’inscrivait dans une séquence plus longue, une sorte de semaine sainte et fondatrice de la révolution qui commence le 17 juin avec la formation des députés du Tiers-état en Assemblée  nationale, et s’achève le 23 juin lorsque Louis XVI cède pour la première fois à ces mêmes députés et que ceux ci, par la voix de Mirabeau, refusent d’obéir à ses ordres, puis, dans la foulée, se déclarent inviolables. Ce premier échec de reprise en main de la révolution annonce tous les autres, jusqu’à la fuite à Varennes en juin 1791 et la prise des Tuileries le 10 août 1792. Personne n’avait encore écrit le récit de sept jours fondateurs, tant du côté du roi, de ses conseils et de son armée que du côté de la révolution. On y retrouve toutes les grandes figures de la révolution, le coupe royal évidemment, les deux frères du roi, Necker, Mirabeau, Sieyès, Bailly, Barnave et le Chapelier et jusqu’à Robespierre qui prononce à ce moment là ses premiers discours. Trois choses apparaissent clairement. Premièrement, si des changements étaient désirés, rien ne laissait présager une révolution doublée d’un véritable « coup d’état » tel qu’il s’est déroulé en juin. Les cahiers de doléances des états généraux convoqués par Louis XVI évoquent bien une constitution mais personne ne sait très bien ce qu’elle sera et personne n’imagine qu’elle conduira à la mise à l’écart du roi, à la confiscation de sa souveraineté comme à la destruction de l’ancienne société d’ordre qui en constituait le fondement. Deuxièmement, les principes comme les mots qui fondent ce renversement de souveraineté du roi à la nation, les émeutes qui touchent tout le royaume bien avant le mois de juin, la conjonction des peurs et du soupçon, le climat de guerre civile qui prévaut alors, la revendication égalitaire font que dès ses débuts la révolution porte en elle les germes de la terreur. Il n’y a pas une bonne (1789) et une mauvaise (1793) révolution mais une seule révolution française et celle ci advient en juin. Troisièmement, et parce que la révolution puis la république ont très vite cherché les raisons de leur légitimité, j’observe que cette semaine de juin qui fonde la nation par appropriation unilatérale de la souveraineté et non sur un contrat passé avec le roi ou entre les ordres (clergé, noblesse et tiers-état) a été très vite sacralisée au nom d’une indivisibilité et d’une unanimité nationale qui n’existait pas. Ce sont ces écarts de représentation entre les évènements de juin tels qu’ils sont advenus et l’invention de la « promesse » de 1789 qui créent les conditions de l’enferment de la révolution dans son mythe et par conséquent, de sa radicalisation.

Que représente Versailles pour vous ? 

Une ville d’histoire et de mémoire. A chaque fois que je m’y rendais pour travailler dans les archives de la Bibliothèque municipale à l’époque où j’écrivais mon livre, et que je traversais à pied la place d’armes  jusqu’à à la rue de l’indépendance américaine, j’avais littéralement le sentiment de voir vivre mes personnages. Et puis tous les lieux de cette histoire, à l’exception de la grande salle de l’hôtel des Menus plaisirs où siégeaient les députés des Etats généraux, existent encore. Le jeu de paume, même s’il a été un peu trop pieusement réinventé dans les années 1880, l’église Saint-Louis, et le château évidemment. Versailles est aussi un lieu de souvenir et de famille. Ma mère y a vécu toute son enfance chez ses parents qui habitaient alors, entre les deux guerres, l’ancienne Chancellerie, aujourd’hui l’école de musique. Elle m’ a transmis nombre de ses souvenirs sur cette époque : ses amies chères qui presque toutes le sont restées jusqu’à leur mort, ses cours particulier dans une institution privée dirigée par un certain M. Plaisance. La grande affaire des élèves lorsqu’elles étudiaient les batailles de la révolution et de l’empire étaient de placer, dans un immense fou rire, la phrase suivante : « Et c’est alors que Bonaparte passa le pô (le pot) à Plaisance ! » Vous imaginez la joie. Ma mère me parlait aussi de ses parties de patins à glace l’hiver sur la pièce d’eau des Suisses, au son d’un gramophone. Elle aimait me raconter des histoires d’apparitions dans le parc, en particulier, celle des deux anglaises qui un beau jour se retrouvèrent assises à côté de la reine Marie-Antoinette. Je crois que Versailles a été pour elle un paradis.  


Quel est votre endroit coup de cœur au château ?

Les éditeurs d’un beau livre d’hommage à l’ancienne conservatrice du château Béatrix Saule m’avaient posé la même question il y a de cela deux ans, et voilà ce que j’avais alors écrit de mon lieu préféré du château : le balcon de la cour de Marbre. Cela n’a pas changé depuis.

« Le balcon de la cour de marbre a beau avoir été récemment redoré, personne n’y apparaitra plus jamais. Il est désormais figé dans l’immobilité fastueuse de son château. Si l’on devait y voir quelque chose, ce ne serait plus que des fantômes. Ce qui devait s’y passer s’est accompli. L’histoire ne se répète pas. Il n’y a plus que des touristes  pour le prendre en photo et personne ne le regarde vraiment. C’est dommage. De ce léger surplomb, Versailles  et son destin nous font pourtant  des signes. C’est là que le 1er septembre 1715, à 8h ¼ du matin, le duc de Bouillon, grand chambellan de Cour, avait annoncé la mort de Louis XIV qui, à 77 ans, venait d’expirer, « comme une chandelle qui s’éteint », dit Dangeau.  Bouillon, raconte le commissaire de police Pierre Narbonne, s’avance une première fois coiffé d’un chapeau à plume noire. « Le roi Louis XIV est mort ». Puis, il disparaît, laisse passer quelques secondes, et revient à nouveau. Cette fois, il porte un chapeau à plume blanche et crie à trois reprises : « Vive le roi Louis XV ». 

Ce dernier n’avait que  cinq ans. Pouvait-il imaginer  que presque 40 ans plus tard, alors qu’il n’était plus le « bien aimé » depuis longtemps, il verrait s’éloigner pour toujours, de ce même balcon, dans la perspective de l’avenue de Paris, le cortège funèbre de celle  qui avait été sa favorite pendant presque 20 ans. Jeanne Antoinette Poisson, marquise de Pompadour. Il pleuvait et il ventait ce 17 avril 1764. Le cercueil avait été disposé sur un carrosse à dais ducal attelé de 12 chevaux caparaçonnés de noir et précédés de quatre gardes suisses. Un roi de France ne pouvait officiellement rendre hommage à son ancienne maitresse. « Voilà les seuls devoirs que j’ai pu lui rendre. », aurait dit Louis XV.

Encore un quart de siècle, et c’est une autre Antoinette qui apparaît au balcon de la cour de marbre. Voilà bien longtemps que les rois ne s’y rendent plus pour y voir défiler leurs troupes ou, comme le fit Louis XIV en février 1715 avec les envoyés du roi de Perse, pour y accueillir des ambassades. Le peuple ne s’émerveille plus de tout cela. Il est là ce matin du 6 octobre 1789, venu de Paris la veille pour réclamer « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Louis XVI, Marie-Antoinette et le Dauphin. Un peu plus tôt dans la matinée, il est entré de force  dans le château, il a envahi les appartements de la reine, tué deux gardes du corps. On a cherché la malheureuse jusque dans son lit. A force de colliers, d’amants imaginaires et de pamphlets  fantasmatiques, la reine n’est plus pour le peuple de Paris qu’immorale, perfide et scélérate. On déteste « l’autrichienne » au point de vouloir sa mort. Maintenant, on la réclame à grands cris depuis la cour de marbre. Il lui fallait du courage pour apparaître ainsi  au risque de se faire tuer.

Marie-Antoinette apparaît une première fois au peuple entourée de sa fille et de son fils. « Point d’enfants ! » lui crie-t-on de la cour. Elle revient seule sur le balcon. On l’aurait mise en joue. A force de présence d’esprit, elle parvient  à calmer la foule et même à la retourner. On l’applaudit. On crie : « Vive la reine ! ». Germaine de Staël, qui était là, raconte la scène : « Ses cheveux étaient en désordre, sa figure était pâle, mais digne, et tout dans sa personne frappait l’imagination. » L’ancienne archiduchesse d’Autriche est sans illusions. Elle sait qu’à ce moment précis, il n’y a plus de monarchie. Elle défendra pourtant jusqu’au bout, jusqu’à l’échafaud, les droits de son mari et ceux de son fils. A son procès, en octobre 1793, on l’accusera d’avoir voulu faire tirer sur le peuple. Elle n’avait fait ce 6 octobre 1789 que représenter une dernière fois la royauté, dans une révérence qui ne pouvait conserver des anciens usages de la Cour que  la politesse du désespoir. Désormais, le souverain, c’est le peuple. Le roi rejoint la reine sur le balcon, obtient la grâce de ses gardes du corps  qui sont restés entre les mains des insurgés et promet de se rendre à Paris. On connaît la suite. Le cortège funèbre de la famille royale, la poussière et le désordre, les têtes sur les piques, les injures et la geôle dorée des Tuileries, avant celle de la tour du Temple, avant celle de la Conciergerie.

Depuis, le balcon de la cour de marbre est retourné à son silence. C’est Apollinaire qui a raison. « La vie est variable aussi bien que l’Euripe. » L’Euripe est, dans la mythologie grecque,  un détroit d’Asie mineure aux courants incertains. »

A propos de l’auteur:

Né en 1957, ancien élève de l’école normale supérieure, docteur en histoire, professeur à l’école pratique des hautes études, Emmanuel de Waresquiel est l’historien et biographe le plus lu de sa génération, l’auteur d’une biographie de référence : Talleyrand. Le prince immobile (2006, ‘Texto’, 2015), de Cent-Jours. La tentation de l’impossible (2008, ‘Texto’, 2014) et du livre, primé à six reprises : Fouché. Les silences de la pieuvre (Tallandier, 2014). Son ouvrage de 2016, ‘Juger la Reine’ a rencontré un énorme succès auprès du public et de la presse.

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