Portrait d’auteur : 3 questions à Flavie Leroux à l’occasion de la sortie de son ouvrage « Les maîtresses du roi, de Henri IV à Louis XIV »

Publié le 12 décembre 2020

Docteur en Histoire et civilisations de l’École des hautes études en sciences sociales, Flavie Leroux est coordinatrice de recherche au Centre de recherche du château de Versailles. Elle vient de publier son premier ouvrage « Les maîtresses du roi, de Henri IV à Louis XIV », aux éditions Champ Vallon.

Pourriez-vous dire quelques mots de votre ouvrage « Les maîtresses du Roi de Henri IV à Louis XIV » ?

Issu d’une thèse de doctorat, mon ouvrage est aussi la concrétisation d’une réflexion de plus long terme, engagée lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux femmes de l’époque moderne, et plus particulièrement aux maîtresses royales. Le sujet avait déjà fait couler beaucoup d’encre. Au fil de mes lectures et de mes découvertes, je m’apercevais que la plupart des ouvrages existants abordaient souvent les mêmes sujets et, surtout, peinaient à se détacher de l’approche biographique, voire dans plusieurs cas anecdotique. Or, il me semblait qu’il y avait là un magnifique laboratoire d’étude, pour questionner à la fois la condition féminine, le fonctionnement de la monarchie bourbonienne, les rapports avec la haute noblesse. Le but était donc de dépasser la « petite histoire » et les débats récurrents pour conférer au sujet une dimension scientifique nouvelle, en l’abordant à l’aune d’autres perspectives : l’histoire du genre et des femmes, l’histoire sociale et économique, l’anthropologie de la parenté.

L’idée principale, dans cet ouvrage, était ainsi de comprendre le fonctionnement du phénomène de la faveur au féminin, en considérant plusieurs niveaux d’analyse. Le premier, celui de la maîtresse elle-même, visait à montrer quelles implications avaient pour elle la relation privilégiée entretenue avec le souverain. Il s’agissait ensuite d’articuler ce premier niveau à un second, plus large, replaçant la maîtresse au sein de ce que j’ai appelé la « famille parallèle » du roi. Cette approche permettait de traiter la question de la maternité et de réfléchir à la notion de parenté, à partir des rapports entretenus entre le roi-père, la maîtresse-mère et leurs enfants naturels. Enfin, une troisième perspective proposait de replacer ces individus dans des collectifs plus larges – lignages d’origine, par alliance, société de cour – afin de saisir le rôle qu’ils pouvaient y jouer.

Pour répondre à ces objectifs, je me suis appuyée sur un corpus d’une vingtaine de femmes, pour certaines célèbres (Gabrielle d’Estrées, Mme de Montespan, Mme de Maintenon), pour d’autres méconnues voire oubliées (Henriette de Balsac, Jacqueline de Bueil, Charlotte des Essarts), couvrant une période charnière dans l’histoire de France : les règnes d’Henri IV (1589-1610) et de Louis XIV (1643-1715), qui marquent l’avènement et l’expansion de la monarchie dite absolue. Pour traiter le sujet sous toutes ces dimensions, des sources largement inédites ont été mobilisées, notamment les actes produits par l’administration royale et les minutes de notaires.

Que représente Versailles pour vous ?

Plus qu’un décor, le mot « Versailles » m’évoque tout d’abord un art de vivre : celui de la cour de France, là réunie à partir de 1682 par Louis XIV. C’est donc toute une société qui s’éveille lorsque je pense à Versailles, avec bien sûr le roi et sa famille, mais aussi les plus grands aristocrates, leurs domestiques, les officiers, les fournisseurs, les visiteurs français et étrangers. La distribution du château, l’arrangement des jardins, le mobilier, tout rappelle à quel point Versailles fut un lieu de vies, fourmillant d’histoires individuelles, collectives, interconnectées, qu’il nous faut toujours relier à la plus « grande » histoire, événementielle, dont de grands actes se sont joués sur place. Au-delà des acteurs, c’est aussi la scène qui apparaît : ce cadre sublime, somptueusement décoré, admiré le plus souvent, en constante évolution jusqu’à nous apparaître encore aujourd’hui dans toute sa magnificence.

Versailles reste aussi, et avant tout, une passion pour moi. L’émerveillement des premières visites, qui remontent à l’adolescence, ne s’est jamais essoufflé ; bien au contraire, plus je découvrais l’histoire de ce lieu mythique, plus j’avais soif d’apprendre. J’ai d’ailleurs orienté mes études supérieures dans ce sens et j’ai eu le privilège d’intégrer en 2018 l’équipe du Centre de recherche du château de Versailles comme attachée et coordinatrice de recherche. Je suis aujourd’hui comblée d’être parvenue à concilier intérêts personnels et projet professionnel, tout en gardant toujours le regard du premier jour : la fascination pour ce lieu chargé de tant d’histoire, le plaisir de suivre les traces de tant de personnages du passé, l’admiration des grands décors et des moindres détails restent omniprésents.

Quel est votre endroit coup de cœur au Château ?

Le choix est bien évidemment difficile, chaque pièce revêtant un intérêt tout particulier, tant sur le plan esthétique qu’historique. Pour cependant répondre au mieux à la question et me limiter aux espaces aujourd’hui accessibles et aménagés, je dirais que mon cœur comme ma tête penchent pour les appartements de Madame de Pompadour et de Madame Du Barry. Ces treize pièces, situées respectivement dans les Attiques et au deuxième étage du Corps central (côté Nord), constituent l’un des rares témoignages du cadre de vie dans lequel pouvaient évoluer les maîtresses royales. Le raffinement autant que la commodité des lieux, dont le mobilier a été reconstitué, permettent de prendre conscience de la position privilégiée de ces femmes. L’on voit ainsi qu’elles avaient un accès direct et personnel au souverain, tout en bénéficiant d’un cadre de vie au comble du luxe et de l’élégance. Parmi ces treize pièces, j’ai une affection particulière pour la bibliothèque de la comtesse Du Barry, qui prête particulièrement à la rêverie. Le canapé encastré dans une alcôve décorée de miroirs, la cage à oiseaux ornée de fleurs en porcelaine et aux armes de la comtesse, la petite fenêtre donnant sur la cour royale, les étagères chargées d’ouvrages : tout rappelle le goût et l’intimité de la maîtresse.

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