Portrait d’auteur : questions à Laurent Hissier autour de son ouvrage « Art et techniques – dorure à Versailles »

Publié le 19 juin 2021

Parlez-nous de votre ouvrage « Art et techniques – dorure à Versailles » qui vient d’être réédité fin mai

La 3ème réédition du livre est parue au mois de mai dernier. C’est une très bonne nouvelle car cela veut dire que le livre se vend très bien après dix ans d’existence. L’éditeur a profité de l’occasion pour changer de couverture et j’ai pu le mettre à jour de quelques informations. Le livre est à la fois technique mais aussi historique et  met en valeur tous les acteurs qui permettent d’avoir des outils et des produits de grande qualité. Il s’articule autour des étapes de restauration et uniquement illustré par des œuvres du château.

Nous avons sélectionné de nombreuses pièces, pour lesquelles nous avons eu beaucoup de plaisir à travailler et à restaurer.

La peinture décorative associée à la dorure est aussi abordée, et une section est réservée aux  boiseries exceptionnelles que l’on peut admirer dans les salons du Palais, et aussi un chapitre sur les travaux de dorure sur métal.

Il existe un livre paru au XVIIIème siècle qui est extrêmement compliqué à lire pour un néophyte.

c’est pourquoi nous avons cherché à le rendre utile, pratique, complet en racontant nos journées d’atelier avec de nombreuses photos (plus de 600) mais surtout avec un soucis de clarté et avec des anecdotes.

Il est bilingue avec 296 pages

Les éditions Vial sont spécialisées dans les métiers d’art.

Que représente Versailles pour vous ?

Le château représente  23 ans de ma vie professionnelle. J’y ai énormément de beaux souvenirs, des  rencontres magnifiques dans un lieu exceptionnel.

Autant je n’ai aucun regret d’avoir fait le choix d’aller vivre d’autres aventures professionnelles ailleurs, par contre je pense que je suis tout de même marqué à vie par toutes ces journées, ces moments dans les salles ou en atelier, où j’ai eu la chance d’approcher les collections et les salons de manière privilégiée.

J’ai une collection de photos assez considérable (50000)  mais je me rends compte parfois que j’aurai du en faire encore plus. Chaque détail, les  marbres,  les bois dorés sont vraiment des exemples  et une source d’inspiration unique d’un  raffinement et d’une beauté que l’on ne retrouve pas dans les autres palais de la même époque.

A chacun de mes passages  à Versailles je fais une visite pour revoir une œuvre ou un salon avec le même plaisir, et bien sur reprendre quelques clichés !

Après 23 ans au service du château de Versailles pourriez-vous nous expliquer comment est née votre passion pour la dorure et quels ont été les épisodes marquants de votre carrière ?

C’est la peinture décorative (et plus précisément le faux marbre) qui m’a amené à la dorure.
J’ai appris de manière autodidacte et quelques temps plus tard j’ai voulu compléter mes imitations avec des filets en dorure. Je suis allé à la rencontre de Daniel Sievert, seul doreur Compagnon du Tour de France et qui avait à l’époque 40 ans d’ancienneté dans l’atelier du château.
Il a regardé mes faux marbres et plutôt que de me prendre en stage, a préféré proposer à la Direction du Château mon intégration au sein de l’atelier de la Petite Ecurie.
C’est après le choix de Mme Saule, alors Directrice générale, et de Marc Faucheux , responsable des ateliers, que j’ai pu rejoindre Daniel et commencer à ses côtés les missions de restauration en dorure, mais également la mise en valeur des œuvres en réalisant des faux marbres sur des gaines ou bien des socles.

La passion pour la dorure s’est accentuée à chaque œuvre qui rentrait en atelier.
Pour moi je ne pouvais pas concevoir ma présence et pratiquer ce métier au sein des ateliers du Château sans être animé par le plaisir et la passion.
J’ai eu énormément de chance de partager mes journées auprès de Daniel Sievert « Ile de France au Cœur d’or », une véritable amitié s’est liée entre nous et je lui suis extrêmement reconnaissant.
Récemment Daniel m’a légué la totalité de ses outils (fers à réparer, gouges, agates, coussins). C’est très symbolique et touchant.

L’autre belle rencontre que j’ai faite à l’atelier (grâce à Éric de Meyer, responsable de l’atelier d’ébénisterie) c’est la rencontre avec Pierre Lefumat, maître international dans l’art du faux marbre. J’ai pu travailler à de nombreuses occasions à ses côtés, soit durant des stages dans les salles du château, ou bien lors de chantiers lorsque je lui proposais de venir.
Il m’a aidé pendant la préparation de l’exposition « Quand Versailles était meublé d’argent » sous la direction artistique de Jacques Garcia, l’atelier ayant en charge l’ensemble de la peinture décorative pour le faux marbre, la patine et la fausse pierre.

Quelles sont les qualités indispensables au doreur ?

Je pense à trois qualités primordiales : la patience, la passion et l’humilité.

La patience est plus que nécessaire. C’est un métier qui demande beaucoup de connaissances artistiques et techniques qui ne peuvent s’acquérir en quelques semaines. Le métier de doreur ornemaniste tel qu’il s’apprend dans les écoles aborde essentiellement les techniques de bases, le moulage, la pose de la feuille.
La reparure, qui consiste à ciseler les apprêts (à l’aide de fers à réparer), est une étape incontournable qui demande beaucoup d’années de pratique en atelier et auprès d’un Maître. La restauration est une autre facette du métier de doreur qui fait appel à des connaissances supplémentaires.

La passion est je pense incontournable et le moteur même pour pratiquer un métier d’art. Elle m’anime depuis mes premiers coups de pinceaux et puis par la suite avec le travail de l’or. J’ai eu la chance de travailler pour une Directrice Générale sur des projets exceptionnels comme l’exposition « Roulez Carrosses » à Arras ou bien pour le remeublement du salon de Mercure. Il est impensable de vivre ces projets en ne s’impliquant pas à 150%. Les horaires n’ont alors plus aucune importance, le seul but est de réussir la mission pour laquelle la Direction nous a accordé sa confiance.

L’humilité enfin, par respect pour les maîtres du XVIIIème qui ont façonné tant de chef d’œuvres que l’on peut voir dans les collections royales. Ce métier est extrêmement passionnant mais nécessite une remise en question quotidienne pour essayer d’aller toujours vers le mieux, même si on peut se réjouir d’avoir restauré beaucoup de cadres ici ou ailleurs.

Pourriez-vous nous expliquer la différence entre la dorure à la détrempe et la dorure à la mixtion ?

Pour poser des feuilles d’or il existe deux techniques avec l’emploi de produits et des préparations différentes. Je vais essayer de les résumer tout en gardant l’essentiel !

La dorure à la détrempe :
Elle demande de nombreuses étapes de préparation à base de colle de peau de lapin et de craie de Champagne, et la pose de la feuille vient alors couronner et révéler enfin tout le travail d’apprêt et de reparure
Lorsque le support est réparé et que les apprêts sont poncés , il faut venir jaunir les fonds et ensuite coucher l’assiette (argile de tonalité ocre rouge).
L’eau est utilisée pour venir détremper la colle contenue dans l’assiette, et va permettre à la feuille d’or d’adhérer et de se fixer sur le support.
Avec cette technique il est possible d’obtenir les plus belles finitions.
Après un certain temps de séchage, l’emploi d’une pierre d’agate va permettre par un frottement régulier et précis sur les feuilles de faire briller l’or (parties saillantes, gorges) et mettre ainsi en valeur un jeu d’ombres et de lumières qui fait toute la beauté de la dorure à l’eau dite « à la détrempe ».
Voilà les principales étapes pour cette technique. Elles sont bien sur toutes détaillées et avec des exemples dans le livre.

La dorure à la mixtion :
La mixtion est composée d’huile et de vernis. Ce « mordant » qui sera couché sur un support préparé va permettre de coller les feuilles d’or. Plusieurs préparations différentes sont nécessaires selon le travail à effectuer.
Cette technique peut être utilisée sur des pièces de mobilier, des cadres, mais également en extérieur sur des grilles et plus récemment sur la toiture de la chapelle Royale. La feuille d’or en extérieur est légèrement plus épaisse. Cette technique ne permet pas de réaliser des brunis avec une pierre d’agate. Toutefois plusieurs astuces sont possibles pour réaliser des parties plus brillantes.
La mixtion est apparue à la fin du XVIIIème et a permis de réaliser des travaux plus rapidement faisant ainsi baisser les coûts.

L’atelier de dorure à contribué à la restauration d’une vingtaine de chefs- d’œuvre du château de Versailles, pourriez-vous nous parler en détail de l’une d’entre elle ?

Le choix d’une seule est très difficile à faire, mais il y a pour moi la restauration du Carrosse de Charles X à l’occasion de l’exposition « Roulez Carrosses » à Arras.
La copie de onze ployants pour le salon de Mercure également, et la restauration du ployant XVIIème qui se situe au milieu.
La voiture du Sacre de Charles X a nécessité plus de 700 heures sur trois mois.
80 pièces ont été déposées puis transportées en atelier. La restauration de la voiture a eu lieu dans le musée des Carrosses.
La restauration a permis de mettre en valeur les bronzes dorés d’une qualité exceptionnelle. Le vernis qui recouvre les éléments en bois sculpté et doré a été nettoyé.

Quel est votre endroit coup de cœur au château ?

Une de mes pièces préférées est le salon d’Hercule avec le chef d’œuvre de François Lemoyne, ses marbres exceptionnels (Sarrancolin d’Antin, brèche grise et Campan vert), les appartements intérieurs.

Parlez-nous des effets décoratifs crées par la dorure pour les ornementations et les frises ?

Au XIXème, le style Empire a remis à l’honneur les frises composées de culots et palmettes, de rais-de-cœur, de perles saucisses.
J’ai la chance d’avoir hérité de la collection personnelle de moules en soufre de Daniel, et je les utilise régulièrement lors de stages de formation.
Actuellement j’ai plusieurs cadres en cours qui vont être réalisés avec ces ornements.
Les moules sont tous différents et permettent de composer des modèles variés.
Dans un autre style, en faisant appel aux techniques ancestrales du Sgraffito nous pouvons réaliser de magnifiques frises à main levée et en dépouillant la peinture sur un support préalablement doré.
Dans un style plus moderne et en faisant appel aux technologies récentes de découpes d’adhésifs, toutes sortes de frises peuvent être réalisées de manière assez rapide.

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