Portrait d’auteur : 3 questions à Sophie Mouquin, à l’occasion de la sortie de son ouvrage « Les arts décoratifs en Europe »

Publié le 07 novembre 2020

Docteur en histoire de l’art (Paris-Sorbonne), maître de conférences à l’Université de-Bordeaux (2004-2007), puis à l’Université de Lille (depuis 2007) et directrice des études de l’École du Louvre (2011-2016), Sophie Mouquin s’intéresse surtout aux arts décoratifs et au grand décor, à l’histoire du goût et à l’histoire naturelle. Ses publications comptent plusieurs ouvrages, dont Pierre IV Migeon (2001), Le Style Louis XV (2003), Écrire la sculpture (avec Claire Barbillon, 2011), Cuir de Russie, Mémoire du Tan (2017). Son ouvrage Versailles en ses marbres, politique royale et marbriers du roi (2018), paru aux éditions Arthena, avec le soutien de la Société des Amis de Versailles a reçu le prix du Livre d’Art du Syndicat National des Antiquaires, la médaille Gobert de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, puis le prix Eugène Carrière de l’Académie Française.
Sophie Mouquin est membre du Comité scientifique de la revue Versalia depuis 2005.

Son nouvel ouvrage Les arts décoratifs en Europe, vient de paraître en octobre 2020 aux éditions Citadelles & Mazenod.


Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre dernier ouvrage « Les arts décoratifs en Europe » qui vient tout juste de paraître ?

Les arts décoratifs en Europe, de la Renaissance à l’art Déco, récemment publié aux éditions Citadelles & Mazenod est une formidable aventure au féminin, menée grâce à la confiance de Geneviève Rudolf, avec qui j’avais déjà eu la chance de travailler en 2011 pour une anthologie, Écrire la sculpture, réunie avec Claire Barbillon. Pour le 50e volume de la collection L’art et les grandes civilisations, les éditions Citadelles & Mazenod ont souhaité s’intéresser à un sujet qui avait déjà fait l’objet d’une publication sous la direction d’Alain Gruber († 2020). De 1992 à 1994 ce dernier avait dirigé un opus en trois volumes, qui envisageait l’étude des arts décoratifs à travers l’ornement. Vingt-huit ans plus tard, le temps était venu de s’essayer à une nouvelle synthèse, enrichie des découvertes historiographiques récentes.
Avec Agnès Bos et Salima Hellal, toutes deux conservatrices du patrimoine et auteurs respectives des parties consacrées à la Renaissance et aux années 1890-1940, nous avons souhaité dresser un panorama européen de plus de cinq siècles de création, qui ne prétend nullement à l’exhaustivité, mais espère, dans un texte dense et synthétique, donner un assagiamento de toute la diversité des arts décoratifs. Si chaque partie chronologique est autonome, l’ensemble de l’ouvrage est construit suivant un canevas commun, qui envisage les échanges, les matériaux et les techniques, les usages et les fonctions, les formes et les styles et enfin la variation du goût et le rôle des marchands et des collectionneurs. Fruit d’un travail d’érudition, mais accessible pour un public de spécialistes comme de néophytes, le texte est servi par une illustration qui, dans la tradition des éditions Citadelles & Mazenod, est d’une qualité irréprochable. Nous avons choisi, délibérément, de proposer des œuvres à la fois très connues et attendues de collections publiques, notamment quelques merveilles versaillaises et autres chefs d’œuvre des grands musées internationaux, mais aussi des pièces moins célèbres ou même inédites, conservées en collections particulières. Le texte et les 600 œuvres commentées qui l’accompagnent permettent, nous l’espérons, de goûter, au plus près des objets, dans la diversité des techniques, des lieux de production et des époques, une histoire qui est celle de l’amour de la matière, du savoir-faire de la main, du secret d’atelier, et de la passion des créateurs et des amateurs.
Dresser un panorama de cinq siècles de création, dans des domaines aussi variés, pour l’ensemble de l’Europe était une aventure ambitieuse et un peu déraisonnable : nous n’ignorons rien des raccourcis inévitables, des choix contestables auxquels nous avons été confrontées. L’ouvrage, répétons-le, n’a pas d’ambition d’exhaustivité : une encyclopédie n’y suffirait pas. Mais nous espérons qu’il renouvellera le regard du lecteur, lui permettant de découvrir ou de redécouvrir combien les arts décoratifs, que l’on a si longtemps considérés comme mineurs, sont comme le résume avec poésie le prince Amyn Aga Khan, qui nous a fait l’amitié et l’honneur de préfacer l’ouvrage, ceux du dialogue. Un sujet éminemment actuel.

Que représente Versailles pour vous ?

Versailles représente pour moi l’esprit même de la création française, dans toute sa diversité. C’est une formidable scène de théâtre, qui convoque tous les arts et tous les talents et les conjugue au service d’un grand dessein : celui de l’excellence et de la beauté. Du palais au domaine, de l’architecture aux jardins, tout dans Versailles témoigne d’un savoir-faire inégalé. Versailles, comme l’écrivit si bien Charles Perrault, dans son Siècle de Louis Le Grand, que j’avais cité en exergue de mon ouvrage sur les marbres, est « un monde, où du grand univers se trouvent rassemblés les miracles divers ».
Versailles est aussi, pour moi, à titre personnel, l’un des lieux clés de ma formation puisque c’est à Versailles, auprès de Christian Baulez, que j’ai appris à goûter et apprécier l’art du grand décor et les arts décoratifs qui, depuis, occupent l’essentiel de mes travaux de recherche. Je me souviens, avec émotion, de ma découverte émerveillée de ce grand palais, jusqu’en certains de ses recoins et de ses replis, sous la conduite de ce grand savant, qui, avec mon directeur de thèse, le regretté Antoine Schnapper, m’a permis d’apprendre les hautes et belles exigences de l’histoire de l’art. Je leur suis, à tous deux, infiniment reconnaissante et redevable. Depuis, Versailles est devenu, au fil des années, un sujet et un objet d’étude, celle des marbres surtout, que j’eus grâce au soutien du château et notamment de sa présidente, Catherine Pégard, mais aussi de Christophe Fouin, merveilleux photographe du château, et grâce au soutien de la société des Amis de Versailles, la joie de transformer en un ouvrage.

Quel est votre endroit coup de cœur au Château ?

Choisir est renoncer ! Il me faut donc renoncer à tant de lieux, que j’aime, pour des raisons si variées, pour n’en choisir qu’un seul ! Mon « coup de cœur » est sans doute le salon d’Hercule, la « dernière pensée de Louis XIV » : pour sa situation, au sein du château, à la fin ou au début du cycle des grands appartements, pour sa manière inégalée d’accorder marbres, bronzes et peintures, pour ses chefs d’œuvre : les Véronèse, l’extraordinaire composition de Lemoyne, la cheminée de Tarlé et de Vassé. Le salon d’Hercule est encore le grand goût de Louis XIV mais c’est aussi déjà tout l’esprit du XVIIIe siècle. C’est la rigueur de l’ordonnance, et la saveur des ornements. C’est une symphonie colorée, un art de l’accord, dont Versailles a le secret. Dans le parc, et bien qu’il s’agisse d’un ensemble exécuté des décennies auparavant, le Grand Trianon, est un lieu également cher à mon cœur. Il est l’harmonie de l’architecture et de la nature, la poésie des fleurs, de la pierre, du marbre.

Découvrez la vidéo de présentation de l’ouvrage
« Les arts décoratifs en Europe »

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