Lauréate du Prix P.J. Redouté, dans la catégorie « Historique », et du Prix Saint-Fiacre dans la catégorie « Coup de cœur »
« Gazons est bien plus qu’une étude scientifique, c’est un livre passionnant et admirablement illustré qui intéressera les nombreux assoiffés de savoir et d’histoire. »
Alain Baraton (préface)
Quantité d’ouvrages traitent des divers éléments qui composent les jardins. Aucun, à ce jour, n’a exploré le plus simple : le gazon. Or les sources littéraires et iconographiques dont nous disposons révèlent la place fondamentale de ce motif dans la culture occidentale. Pour en faire le tour, Lucie Nicolas-Vullierme, Rédactrice en chef des Carnets de Versailles s’appuie sur de nombreuses archives et une riche iconographie (plans, peintures, photographies et cartes), convoquant textes scientifiques, littéraires et philosophiques de l’Antiquité à nos jours.
Entretien avec Lucie Nicolas-Vullierme
En quelques mots, comment pourriez-vous décrire votre ouvrage ?
Il s’agit de découvrir un motif essentiel du jardin, à la fois structurant et parmi les plus délicats, mais si discret que son histoire n’a pratiquement jamais été étudiée. Celle-ci est pourtant passionnante et remonte au XIIIe siècle où l’on donne déjà des conseils très précis pour obtenir un beau gazon à partir de mottes d’herbe prélevées dans la nature. L’aspect historique prévaut, mais j’ai essayé aussi de saisir la portée symbolique de cette herbe verte maintenue courte par l’homme. Plusieurs entretiens avec des paysagistes et des architectes en chef des Monuments historiques, notamment Jacques Moulin, enrichissent ce panorama que les éditions Klincksieck ont su magnifier à travers un nombre important d’illustrations.
Comment est né votre intérêt pour ce sujet ?
Je devais, au départ, écrire un petit essai inspiré d’un livre publié en 1908 par le paysagiste Jean-Claude Nicolas Forestier intitulé Les gazons et concentré sur leur rôle dans le développement du jardin moderne. Très vite, j’ai été séduite par d’autres textes issus des traités anciens de jardin où le gazon tenait souvent une place à part. À ce sujet, les termes devenaient plus choisis, les phrases plus alanguies… se dégageait une poésie qui m’a profondément touchée et que j’ai eu envie de traduire. Puis les images – tapisseries du Moyen Âge, gravures d’Androuet du Cerceau, peintures d’Allegrain ou de Cotelle, plans publiés par Blondel ou Georges-Louis Le Rouge, albums de Victor Petit – m’ont fait peu à peu réaliser à quel point le gazon avait son importance.
Pourquoi le gazon est-il considéré comme motif essentiel du jardin ? Quelle est sa place dans la culture occidentale ?
Il suffit de regarder autour de soi : voyez comme il occupe la plus grande partie de nos jardins et comme il est partout présent ; en ce début du XXIe siècle, c’est sur du gazon que l’on fait circuler les nouveaux tramways dans les villes ! L’herbe rase a bien une place à part entière dans la culture occidentale, les textes anciens le confirment amplement. Cela se reflète dans la littérature d’une manière particulièrement émouvante, le gazon surgissant en toile de fond dans les instants les plus forts, de même qu’un velours va sublimer des pièces d’orfèvrerie ou des bijoux de grande valeur…
La question de la préservation de l’environnement est primordiale, en quoi Gazons pourrait être un livre essentiel sur ce sujet ?
C’est une question, en effet, d’actualité, que l’on me pose régulièrement. Le livre montre combien le gazon était autrefois, avant l’existence de la tondeuse, difficile à obtenir. On le limitait à des espaces restreints, considérés comme des lieux particulièrement précieux. Il tapissait la scène des jardins clos moyenâgeux tels qu’on les voit représentés sur les enluminures. Il occupait, au XVIIe siècle, les parterres les plus proches – donc les plus visibles – des châteaux. Rappeler l’importance historique du gazon dans notre culture n’incite pas à en redoubler l’usage. Cela doit plutôt être pris comme une invitation à apprécier autrement cette herbe rase et à en faire quelque chose de plus soigné, de plus rare, quitte à laisser l’herbe pousser ailleurs, ce qui est très beau à regarder.
En quoi les jardins de Versailles ont-ils pu influencer votre ouvrage ?
Je me vois, il y a plusieurs années, bien avant que je commence à travailler pour le château, devant le parterre de l’Orangerie, puis celui de Latone, éblouie par les enroulements de gazon tout juste rétablis. Quelle élégance dans ces dessins tracés par l’homme, en communion avec ce qu’il y a de plus simple dans la nature ! Les jardins de Versailles comptent beaucoup dans l’histoire du gazon. Comme pour l’histoire du jardin en général, ils en reflètent des moments remarquables, guidés par des personnes hors du commun. Avec, en tête, André le Nôtre qui composa nombre de ces parterres, mais également le botaniste Antoine-Nicolas Duchesne qui s’est particulièrement intéressé à ce sujet. Ses questionnements révèlent que l’on songeait même, à la fin du XVIIIe siècle, à « nuer » les gazons, c’est-à-dire à en varier les tons : verts plus ou moins foncés, plus ou moins bleus ou cendrés… Duchesne compare la surface de l’herbe à des taffetas chinés ou à des étoffes chamarrées ! Aujourd’hui, le domaine de Versailles comporte toujours parmi les gazons les plus sophistiqués. Il faut venir les contempler.
Que représente Versailles pour vous ?
C’est le cadre extraordinaire de mon travail, mais plus encore, c’est la vastitude qu’offre un tel endroit. Versailles a été à la pointe dans tous les domaines, scientifiques, artistiques, littéraires, accueillant dans ses murs les meilleurs géographes, horlogers, médecins, architectes, peintres, artisans, etc. Les sujets sont multiples et déclinables à l’infini, toujours sous le signe de l’excellence et de la virtuosité. Versailles forme ainsi vraiment un système solaire dont je me plais à imaginer les prolongements comme de nombreuses planètes à découvrir, toutes aussi étonnantes et variées : un vrai régal pour Les Carnets de Versailles et, je l’espère, pour ceux qui les lisent !
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