Portrait d’auteur : questions à Catriona Seth autour de son ouvrage « Marie-Antoinette. Lettres inédites »
Publié le 10 juillet 2021
Catriona Seth, professeur à l’université d’Oxford et à l’université de Lorraine.
Parlez-nous de votre ouvrage « Marie-Antoinette. Lettres inédites » paru aux éditions Albin Michel en octobre 2019
Le livre comprend la totalité des lettres et billets adressés par Marie-Antoinette au comte de Mercy, l’ambassadeur d’Autriche en France. Grâce à ces échanges nous lisons les mots mêmes de la Dauphine et reine sans intermédiaire. Il circule tellement de visions contradictoires de Marie-Antoinette qu’il est essentiel, me semble-t-il, de retourner aux sources si l’on veut tenter d’aller à sa rencontre. La correspondance démarre alors que l’épistolière n’est qu’adolescente et dure jusqu’en 1792 lorsque les événements historiques entravent la communication. On peut la diviser en deux parties. La première, avant le départ du diplomate en 1790, envisage surtout des actions rapides : invitations de visiteurs étrangers à la Cour, cadeaux familiaux, spectacles ou sorties, mais aussi des nominations à des postes clés. La seconde, essentiellement clandestine, parfois envoyée sous forme de documents chiffrés, témoigne de l’engagement de la reine dans les affaires d’État et son ardent désir de voir finir les bouleversements qui secouent la France. Grâce à l’ensemble – un véritable massif dans la correspondance de celle qui se disait épistolière involontaire – on découvre la maturation politique de Marie-Antoinette, sa profonde sincérité, son désir de rendre service à chacun et une véritable conscience de sa destinée.
Que représente Versailles pour vous ?
J’avoue que pour moi Versailles n’est pas tant le château du Roi-Soleil que la résidence de Louis XV et de Louis XVI ainsi que, bien sûr, de tout leur entourage dont des femmes mémorables comme Madame Infante, la marquise de Pompadour ou Marie-Antoinette. Je suis fascinée par la splendeur du palais et du parc d’un côté et les aspects moins reluisants de l’autre ; par la poignée de princes entourée de courtisans qui se satisfont de conditions souvent peu avantageuses pour être dans l’orbite du souverain ; par tous les corps de métier au service du monarque et des siens, les cuisiniers, lingères, palefreniers, jardiniers et ainsi de suite ; par les rencontres entre ce qu’il est convenu d’appeler la grande Histoire et l’histoire d’hommes et de femmes qui souvent n’ont pas laissé de trace.
Quel est votre endroit coup de cœur au château ?
Je crois que j’aime par-dessus tout Trianon, ce domaine à taille humaine, entouré de verdure. Je suis sensible au charme de son architecture, aux sols pavés de marbre à carreaux blancs et noirs, aux balustrades en ferronnerie… à tout un programme décoratif élégant dans sa simplicité. Je suis émue par le hameau de la Reine, juste au-delà, avec ses « fabriques » entre artifice et ruralité, ses références culturelles et son aspiration à retrouver la nature, son panorama de fleurs et de reflets sur l’eau… Et je rêve un jour d’assister à un spectacle dans le petit théâtre de Marie-Antoinette où je n’ai, hélas, jamais encore mis les pieds.
Comment vous est venue l’idée d’étudier l’intégralité de la correspondance entre Marie-Antoinette et l’ambassadeur d’Autriche à Paris? Combien de lettres et billets contient cette correspondance ?
Lorsque je travaillais sur les lettres de Marie-Antoinette à sa mère, conservées dans les archives impériales à Vienne, j’ai lu ses autres correspondances et j’ai eu la surprise de découvrir qu’une grande partie des lettres et billets adressés à Mercy était inédite. Il y en a plus d’une centaine.
Comment évolue la correspondance entre les deux interlocuteurs ?
La correspondance entre les deux interlocuteurs évolue dans le temps. Elle est plus développée à partir du moment où Mercy est contraint de s’éloigner de Paris à la requête de l’Empereur pour pacifier les Pays-Bas autrichiens. Les courriers de cette période qui coïncide avec les remous révolutionnaires sont plus longs et développés que pendant la jeunesse de Marie-Antoinette. Lorsque la famille royale est sous haute surveillance aux Tuileries, une partie des échanges doit être chiffrée par mesure de précaution.
Que révèle cette correspondance entre Marie-Antoinette et le comte de Mercy-Argenteau sur le rôle de la reine dans les affaires politiques ?
Les lettres montrent la maturation politique de la reine dont le souhait est toujours de faire le bonheur de son entourage. Si Marie-Antoinette intervient ponctuellement au cours de l’Ancien Régime, surtout lorsqu’elle y est poussée par l’Autriche, elle prend un rôle actif sous la Révolution, faisant circuler des nouvelles et proposant des prises de position souvent courageuses alors que la tension monte et que les conditions deviennent de plus en plus insupportables.
Si vous deviez parler d’une lettre en particulier, laquelle serait-elle ? Pourquoi ?
Je suis très émue par différents courriers, les petits billets qu’on arrive difficilement à dater comme les longues lettres révolutionnaires. Parmi ces dernières, la lettre du 16 août 1791 finit d’une manière qui ne peut manquer de toucher : « C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est. Mon sang coule dans les veines de mon fils, et j’espère qu’un jour il se montrera digne petit-fils de Marie-Thérèse. Adieu. Si vous pouvez me garder cette lettre, je serai bien aise de la ravoir un jour. »
Existe-t-il d’autres correspondances de Marie-Antoinette à étudier ?
Toute la correspondance de Marie-Antoinette est à étudier ! Il y a des séries intéressantes comme celle avec sa mère et ses frères et sœurs, par exemple. Il reste encore des inédits à publier, conservés dans différents fonds publics et privés.
Comment authentifier les lettres qui n’ont pas été signées par la reine ?
La première question à se poser face à une lettre de Marie-Antoinette est celle de la provenance. Il faut ensuite bien entendu regarder le papier, la graphie etc. Il y a eu énormément de faux au XIXe siècle et certains d’entre eux sont conservés dans des fonds d’archives et musées !
Qu’apporte la lecture scientifique de ses correspondances sur notre vision de Marie-Antoinette ?
Lire la correspondance de Marie-Antoinette permet de mieux la connaître. Son image a été diffusée par des portraits peints et gravés, par des textes élogieux et calomnieux. Lorsque nous lisons ses lettres, nous sommes face à un personnage authentique. Il n’y a pas d’écran entre elle et nous. L’effet est de restituer un personnage avec beaucoup plus de nuances et de profondeur et de voir l’être humain au-delà des apparences.
Thomas F. Hedin is Emeritus Professor of Art History at the University of Minnesota Duluth. He is also a Benefactor member of Société des Amis de Versailles (Friends of Versailles) for many years.He has...
Lauréate du Prix P.J. Redouté, dans la catégorie « Historique », et du Prix Saint-Fiacre dans la catégorie « Coup de cœur » « Gazons est bien plus qu’une étude scientifique, c’est un livre passionnant et admirablement illustré...