Entretien avec Elodie Vaysse – Les coulisses de la restauration du portrait de La Famille royale dans l’Olympe

Publié le 13 juillet 2023

En 2023, la Société des Amis de Versailles s’est engagée en faveur de la restauration du portrait de La Famille royale dans l’Olympe par Jean Nocret, avec le soutien de la Fondation du patrimoine. Elodie Vaysse, conservateur du patrimoine chargée des peintures des XVIe et XVIIe siècles, nous fait l’amitié de répondre à nos questions sur cette œuvre et sur cette restauration d’envergure.

L'image montre le Portrait mythologique de la famille de Louis XIV par Nocret
Portrait mythologique de la famille de Louis XIV, Jean Nocret, 1670 © Château de Versailles, Dist. RMN © EPV

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce tableau, de sa réalisation par Jean Nocret à son accrochage dans les lambris de l’Antichambre de l’œil-de-bœuf ?

« La Famille royale dans l’Olympe » est une œuvre peinte vers 1670 pour le château de Saint-Cloud, demeure de Philippe d’Orléans, le frère de Louis XIV. On peut estimer que son auteur, Jean Nocret, y travaillait depuis 1665 au moins : on connaît aujourd’hui un grand dessin et une petite esquisse préparatoires au tableau, sur lesquels le Dauphin, le fils du roi, né en 1661, apparaît sensiblement plus jeune. Nocret doit avoir œuvré dans son atelier au palais des Tuileries, et peut-être sur place, à Saint-Cloud. Une toile de cette taille – plus de douze mètres carrés – prend plusieurs mois, sinon années, à peindre… Henriette d’Angleterre, l’épouse de Philippe d’Orléans, y occupe une place de choix, mais doit avoir à peine connu l’œuvre, car elle disparaît dès le mois de juin 1670. C’est la seconde femme de Philippe, la fameuse princesse Palatine, qui vit le plus longtemps dans les appartements décorés par Nocret à Saint-Cloud. Jusqu’à la Révolution, le tableau change semble-t-il plusieurs fois de place, mais reste conservé au château. Il entre avec lui dans les collections royales au moment de l’achat pour la reine Marie-Antoinette, en 1784. 

En 1792, il est saisi et transféré à Versailles, chef-lieu du département de la Seine-et-Oise, et plus particulièrement au château où il demeure plusieurs années, probablement sans châssis et roulé. En 1814, Louis XVIII, tout juste rétabli sur le trône, envisage de se réinstaller à Versailles où l’on entreprend des travaux d’urgence. Dans le salon de l’œil-de-bœuf, achevé en 1701, les grands tableaux italiens de Louis XIV ont été ôtés, et transférés au Louvre et dans plusieurs autres musées, laissant les niches vides : c’est sans doute à ce moment-là qu’est installé « La Famille royale dans l’Olympe », semble-t-il directement clouée dans le plus grand des emplacements, jadis occupé par le « Esther et Assuérus » de Véronèse. Les Cent-Jours mettent un terme au projet de réinstallation de Louis XVIII à Versailles mais, en 1818, le tableau de Nocret est envoyé en restauration à Paris, doté d’un châssis, puis réinstallé dans le salon de l’œil-de-bœuf. Il ne semble plus avoir quitté le château depuis. 

Antichambre de l’œil-de-bœuf dans laquelle se trouve le tableau de « La Famille royale dans l’Olympe » par Jean Nocret (à droite)

Qui était Jean Nocret ?

Jean Nocret est le peintre attitré de Philippe d’Orléans, frère unique du roi, depuis 1652 – le prince n’a alors que douze ans. C’est un Lorrain, qui a passé plus d’une dizaine d’années à Rome où il semble avoir eu une veine caravagesque, dont nous ne connaissons plus rien aujourd’hui. En 1657, il accompagne une ambassade au Portugal. Peintre de cour, il maîtrise à la fois l’art du portrait et celui du grand décor, ce qui lui permet d’inventer des compositions attrayantes comme « La Famille royale dans l’Olympe ». Il vit au palais des Tuileries, dans une véritable pépinière d’artistes avant l’heure, où il semble avoir de nombreux amis jusqu’à sa disparition, en 1672.


Quelle est la signification des choix iconographiques principaux qui ont été faits dans ce portrait ? Que disent-ils ou non des différents personnages de la famille royale et de leurs relations ?

L’iconographie du tableau est à la fois poétique et politique. Louis XIV, nouvel Apollon, s’y inscrit dans une symbolique solaire avec son sceptre, sa draperie d’or et sa couronne de lauriers, que l’on retrouve sur la tête de son fils le Dauphin, brandissant un petit flambeau. Philippe d’Orléans, lui, est en étoile du Point du Jour : il annonce de sa torche le lever du soleil… mais sans lui faire de l’ombre, comme il convient. Commanditaire de l’œuvre, il adresse ainsi un message d’obéissance à son frère aîné, alors que tant de rois de France, à commencer par Louis XIII, ont eu à souffrir des prétentions politiques de leurs cadets.

Entre les deux frères est représentée leur mère Anne d’Autriche en Cérès, la déesse nourricière. Sa belle-fille, la reine Marie-Thérèse, est en Junon, reine des dieux – n’y voir aucune allusion aux infidélités de son époux ! Célibataire, la Grande Mademoiselle apparaît en Diane. Belle-mère de Philippe, Henriette de France, représentée à l’extrémité gauche, figure en Amphitrite, référence à l’insularité de son ancien royaume, l’Angleterre. Enfin, de façon plus conventionnelle, les enfants sont représentés en Amours et les autres cousines du roi en Trois Grâces.


Le tableau avait-il déjà été restauré auparavant ? Si oui, le résultat était-il satisfaisant ?

Nous savons que le tableau a été restauré de façon fondamentale en 1818, par un restaurateur assez célèbre à l’époque, Joseph Fouque, qui a installé, sinon fourni, un nouveau châssis, et rentoilé l’œuvre, c’est-à-dire installé une nouvelle toile collée à la première, pour la renforcer. Nous savons aussi que le tableau a été décroché pour la dernière fois entre 1984 et 1986, il y a presque quarante ans, pour une restauration assez légère, une « remise en ordre ». Les restaurateurs actuels, menés par Marie-Ange Laudet-Kraft, sont parvenus à joindre ceux de l’époque, désormais fort âgés, ce qui nous a permis d’obtenir de précieuses informations. Entre ces deux interventions, aucune restauration n’est documentée, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne s’est rien passé. Le tableau semble avoir été verni à plusieurs reprises, et sans doute légèrement retouché. Mais son emplacement et sa grande taille ont sans doute découragé les interventions approfondies.


La restauration du portrait a-t-elle permis de faire des découvertes concernant la technique de Jean Nocret et la manière dont ce tableau a été réalisé ?

Grâce à nos collègues et partenaires du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF), le tableau a bénéficié, pour la première fois de son histoire, d’un dossier d’imagerie scientifique. Le cliché infra-rouge a révélé la présence de plusieurs repentirs, notamment autour de la reine Marie-Thérèse dont les enfants semblent avoir été rajoutés au fur et à mesure des naissances. L’aîné, le Dauphin, est prévu dès le dessin préparatoire et sa petite sœur, que l’on appelait « la Petite Madame », a été rapidement ajoutée à la composition. Mais le troisième enfant, un petit garçon nommé Philippe qui apparaît à droite près du paon, a été peint encore plus tard, alors que Nocret avait déjà tracé et rempli les drapés bleus et roses de la robe de Marie-Thérèse.

Le cliché dit « en fausses couleurs », tout comme l’opération de nettoyage du tableau, ont révélé ses vives couleurs, et l’emploi massif de lapis-lazuli, un pigment bleu très précieux. Nous pouvions nous y attendre, mais c’est une chose de savoir les choses intellectuellement, et une autre de les voir en vrai !

Marie-Thérèse et ses enfants, La Famille royale dans l’Olympe, par Jean Nocret © Château de Versailles, Dist. RMN © EPV

Avez-vous rencontré des difficultés particulières lors des deux premières phases de cette restauration ?

Jusqu’à présent, non : je m’en réjouis, et croise les doigts ! Déplacer et restaurer les œuvres ne sont jamais des opérations anodines.


Jean Nocret a-t-il réalisé des œuvres ou des décors pour le château de Versailles ? Si oui, quelles étaient les oeuvres présentées au château de Versailles au XVIIe siècle ?

Peintre de Philippe d’Orléans, Jean Nocret a néanmoins travaillé pour Louis XIV au palais des Tuileries, où il a exécuté plusieurs décors. Ses portraits sont également mentionnés dans les collections royales : on y retrouve Henriette d’Angleterre, Louise de La Vallière, le roi et la reine, Philippe d’Orléans… En 1706, plusieurs de ces œuvres sont mentionnées à Versailles, mais leurs modèles et leur auteur sont morts depuis longtemps, ce qui leur vaut d’être conservées… au garde-meuble.


Mis à part le portrait mythologique de la famille royale, quelles oeuvres majeures de Jean Nocret sont revenues au Château ou ont été acquises depuis la Révolution ?

Plusieurs portraits entrés dans les collections du château sous Louis-Philippe ont pu être rendus à Nocret : parmi eux, le populaire Portrait d’Henriette d’Angleterre tenant sur ses genoux un petit épagneul king-charles (MV 3502) ou un Portrait équestre du jeune Louis XIV devant Paris (MV 2051). Plus récemment ont pu être acquis un Portrait historié d’Henriette d’Angleterre (V.2023.1) et un Portrait du Dauphin, fils de Louis XIV, à l’âge de deux ou trois ans (V.2020.15) offert par le comte Édouard de Royère par l’intermédiaire de la Société des Amis de Versailles.

Portrait d’Henriette d’Angleterre tenant sur ses genoux un petit épagneul king-charles,
© RMN-GP (Château de Versailles) / Jean-Gilles Berizzi
l'image montre le portrait du Dauphin réalisé par Nocret. Il porte une robbe bleue et tient un bouquet de fleurs, sur fond rouge
Louis de France, dit le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, à l’âge de deux ou trois ans,
© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin
Louis XIV, roi de France (1638-1715)
© Château de Versailles, Dist. RMN / © Jean-Marc Manaï
Portrait historié d’Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans (1644-1670)
© Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin

Quel parallèle peut-on établir entre le Portrait de Louis de France, dit le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, à l’âge de deux ou trois ans, par Nocret et la représentation des enfants dans le portrait mythologique ?

C’est « La Famille royale dans l’Olympe » qui a permis l’attribution du « Portrait du Dauphin » à Jean Nocret et, indirectement, son acquisition. La position du petit garçon est en effet quasiment identique à celle qu’il arbore sur le grand tableau, ainsi qu’à celle de sa petite sœur, la « Petite Madame ». Les drapés sont également semblables, tout comme les visages, poupins et un peu figés. Les analyses faites après l’acquisition ont révélé lé présence de lapis-lazuli, comme sur le grand tableau. On y retrouve également de très belles fleurs, ce qui rejoint une question que l’on se pose à propos de l’œuvre de Jean Nocret : peignait-il lui-même ses fleurs, ou faisait-il appel à un peintre spécialiste ?


Quel est votre personnage préféré dans ce portrait ?

Henriette d’Angleterre représentée en Flore, La Famille royale dans l’Olympe, par Jean Nocret
© Château de Versailles, Dist. RMN © EPV

J’ai un goût particulier pour la figure d’Henriette d’Angleterre, l’épouse de Philippe d’Orléans, qui est justement représentée en Flore. C’est la seule au premier plan à se tenir debout, ce qui lui confère une présence toute particulière. Lorsque nous avons décroché le tableau, je me suis aperçue qu’elle faisait la même taille que nous, ce qui n’était pas évident à réaliser en examinant l’œuvre depuis un échafaudage. Ce détail avait pourtant frappé les contemporains de Nocret, qui soulignent, en parlant du tableau, que les personnages sont représentés grandeur nature : la monumentalité et le charme de ce portrait en font décidément une œuvre sans équivalent pour le XVIIe siècle français.


La campagne de mécénat en faveur de la restauration de ce portrait est toujours en cours.

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